Un chef d'entreprise du Doubs poursuivi pour
discrimination raciale envers sa clientèle
LE MONDE |
26.01.01 | 15h27
BESANÇONde notre correspondant
Jusqu'à présent, jamais la preuve d'une discrimination à la consommation n'avait été rapportée, qui permît d'assigner en justice un commerçant ou un chef d'entreprise donnant à son personnel une consigne à caractère raciste au sujet de sa clientèle. « Ces instructions sont d'habitude transmises de manière orale », relevait, jeudi matin 25 janvier, Me Dominique Tricaud, l'avocat de SOS-Racisme, devant le tribunal de Montbéliard, qui doit juger le directeur du magasin Connexion d'Exincourt (Doubs).
QUATRE « PRÉCEPTES DE BASE »
En juillet 2000, celui-ci a enfreint la règle du silence en notifiant, par écrit, à ses cent salariés quatre « préceptes de base » à suivre, selon lui, pour prévenir les escroqueries par chèques. Le point numéro quatre du texte est explicite : « Vous serez encore plus en éveil vis-à-vis des étrangers ou gens de couleur. Ceux-ci sont encore mieux organisés pour nous rouler (certains, bien sûr). »
Lorsqu'il prend connaissance, le 7 août, de cette note jointe au bulletin de paie de son amie Sarah, intérimaire, Mathieu, un chauffeur routier d'origine antillaise, n'hésite pas. Il porte plainte et prévient Samuel Thomas, le vice-président national de SOS-Racisme. Le substitut du procureur, Patrick Cousinard, saisi par l'association, considère la contravention constituée et il poursuit le directeur, Raymond Jeunot, pour « provocation non publique à la discrimination en raison de l'origine, de l'ethnie, de la race ou de la religion ».
Ce dernier, entre-temps, a rendu visite à Mathieu et l'a convaincu de retirer sa plainte. « Il m'a dit qu'il regrettait, qu'il n'avait pas voulu dire ça. Comme j'ai bon cœur, je l'ai cru », raconte le jeune routier. Mais M. Jeunot, qui veut « que cela ne se reproduise pas », a renoncé à embaucher Sarah, à laquelle un contrat avait été promis quatre mois auparavant. Mathieu, se jugeant trompé, change d'avis, et, jeudi, se constitue partie civile à l'audience pénale.
Le banc des prévenus est désert. Le directeur n'est pas venu à son procès. « Son absence démontre qu'il n'a pas encore tiré les enseignements de cette affaire », estime le second avocat de SOS-Racisme, Me Daniel Massrouf. « En n'étant pas là, M. Jeunot insulte une deuxième fois ses victimes », renchérit Me Tricaud. Lors de l'enquête, l'homme « a indiqué avoir rédigé sa note dans l'urgence, il a reconnu s'être mal exprimé et a précisé avoir engagé trois Maghrébins », assure la présidente, Pascale Nore. « Il s'est mal exprimé ? C'est peut-être parce qu'il a oublié les juifs ? », bondit Me Tricaud, qui juge « l'argument détestable ». Afin de tordre le cou aux idées reçues et au mythe de l'étranger fourbe et voleur, sournois et escroc, le substitut Patrick Cousinard, lui, requiert une peine d'amende de 3 000 francs contre Raymond Jeunot. Le prix à payer « pour qu'il enterre ses mauvais sentiments ».
« PROTESTANT, DONC TOLÉRANT »
Le défenseur du directeur, Me Jean Surdey, ne cache pas que son client a été « bête », mais il ne le croit pas « méchant ». La preuve ? « Il est protestant, donc tolérant, ouvert à l'accueil et sans méfiance », insiste l'avocat, en rappelant que le prévenu est connu pour ses engagements en faveur du Téléthon, d'organisations caritatives et de clubs sportifs. « On ne devient pas raciste, d'un coup, à soixante-huit ans », ajoute Me Surdey, qui qualifie de « perfide, insultant et odieux » le portrait de M. Jeunot dressé par les avocats de SOS-Racisme. « La bourde est faite mais le "certains, bien sûr" de la fin du texte, moi, j'y tiens ! », conclut-il : « J'y vois bien une restriction, car M. Jeunot a dit qu'il ne visait pas tout le monde, même si c'est maladroit. »
Jugement le 15 février.
Jean-Pierre Tenoux
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