"On cherche à ghettoïser des populations"
NOUVELOBS.COM
| 22.02.06 | 16:06
par
Samuel Thomas,
Vice président de l'association SOS Racisme
Comment avez-vous eu connaissance des pratiques
de l'Opac de Saint-Etienne et comment se caractérisent les pratiques que
vous reprochez à l'Opac de Saint-Etienne ?
- SOS racisme a
eu connaissance d’un rapport de la Mission
Interministérielle d’Inspection du Logement Social (la
MIILOS), qui établit que l'OPAC de Saint-Etienne utilisait une grille de
peuplement pour chaque immeuble dans lequel elle répertoriait l’origine
ethnique des titulaires du bail, en distinguant Maghreb, Afrique, Asie, en
se fondant sur le nom patronymique des populations logées. Ce rapport fait
état d'une distinction effective entre Français d'origine étrangère et
Français de "européenne".
Il indique également que ces Français d'origine étrangère sont considérés
comme des étrangers et ont un accès moins facile au logement social. A
Saint-Etienne, les services de l'Opac se sont servis d'une grille de
classification ethnique du peuplement. Un logiciel semblable avait été créé
au sein de l’OPAC de l’Isère par Gérard Dezempte, maire UMP de
Charvieu-Chavagneux qui vient d’être condamné à 3 ans d'inéligibilité pour
une discrimination fondée sur la théorie du seuil de tolérance.
Les
statistiques produites par cette « grille de peuplement » conduisaient à
exclure les personnes dont l'origine ethnique pouvait être définie par leur
patronyme d’une grande partie du parc, et les réorienter vers des zones moins
prisées par des Français "d’origine européenne".
C'est une ghettoïsation de la population dans des zones où les logements sont
de moindre qualité. La recherche de mixité sociale prônée par le gouvernement
n'est pas du tout respectée, bien au contraire. Cela signifie par ailleurs,
que les personnes discriminées pouvaient attendre plusieurs mois sans avoir
de proposition de logement, tandis que dans le même temps, d'autres familles
dont le nom sonnait plus "français" bénéficiaient de propositions.
Ces pratiques sont-elles monnaie courante et que prévoit la loi contre ces
délits ?
- Les pratiques de l’OPAC de Saint Etienne sont symptomatiques du
comportement de bailleurs sociaux qui ne veulent pas que des habitants
d'origine "extra-européenne" viennent dévaluer un bien immobilier.
Ces personnes se retrouvent donc dans une situation d'attente plus longue que
celles qui portent un patronyme plus "français", et sont orientées
et concentrées dans les cités « ghettos » qui constituent un tiers du
patrimoine des HLM. C’est ce qu’indique l’INSEE qui publiait en 2000 un
rapport établissant que, lorsqu'on était immigré, on attendait trois fois
plus longtemps pour obtenir un logement social, quelle que soit la taille de
la famille et lorsqu’on l’obtenait c’était à 96% dans un grand ensemble
ancien. Les mêmes discriminations sont pratiquées par les bailleurs privés
contre lesquels il est plus facile de lutter. On peut effectuer des
"testings" pour prendre les propriétaires privés en flagrant délit,
alors que dans le public où on ne peut pas définir le temps d'attente par
personne avec précision. Le délit pénal de fichage ethnique défini par
l’article 226-19, est passible de 5 ans de prison et 300.000 euros d’amende.
Et le délit de discrimination raciale défini par l’article 225-1 est passible
de 3 ans de prison et 75 000 € d’amende pour un bailleur public.
Les sanctions pénales prévues par la loi sont importantes mais en réalité, il
est très difficile de faire juger les pratiques discriminatoires des
organismes HLM. Nous devons déposer une plainte avec constitution de partie
civile pour obtenir qu'une enquête soit menée. Si nous saisissons simplement
le Parquet la plainte est rapidement classée sans suite sans véritable
enquête. C’est ce qui est arrivé à chacune des plaintes déposées par SOS Racisme contre
les 32 organismes HLM utilisateurs du logiciel Habitat 400 de Gérard Dezempte
qui proposait de trier locataires et demandeurs de logement en fonction de
leur origine.. Notre victoire contre le maire de Charvieu-Chavagneux après 5
ans d’instruction, a été une première.
Pensez-vous qu'il y a une dérive de la société française, notamment si on
se réfère à la dernière proposition de loi de Nicolas Sarkozy, qui propose le
fichage ethnique des délinquants ?
- Malheureusement, ce phénomène est latent depuis de nombreuses années. Le
fichage ethnique pratiqué illégalement par les organismes HLM ou la Police
n’était jusqu’à présent prôné que par le Front National.
L'inquiétant, à l'heure actuelle, c'est que Nicolas Sarkozy, qui rejoint ces
idées, est le numéro deux du gouvernement et ministre de l’intérieur. Et le
fait qu'il propose de légaliser le fichage ethnique des français et de donner
une lecture « racialiste » de la délinquance est extrêmement dangereux. Le
combat antiraciste c’est de lutter contre cette idéologie qui veut qu’on
analyse le comportement des individus en fonction de leur couleur de peau, de
leur patronyme ou de leurs origines.
Propos recueillis par Pierre Mazaré
(le mercredi 22 février 2006)
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