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Embauche, logement, travail, école... Racisme à la française

Jeudi, 8 Février, 2001
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Petite restrospective des faits de discrimination.

Semaine du 08 février 2001 -- N°1892 -- Dossier

 

Au nom de l'intégration, la République aime célébrer les Zidane, les Adjani, les quelques enfants d'immigrés parvenus à la gloire, et préfère se voiler la face devant les injustices dont souffrent quotidiennement la plupart des étrangers et des Français qui ne sont pas « de souche ». Aujourd'hui, grâce au combat de nombreuses associations, de SOS-Racisme, du Mrap, de la Licra, de la Ligue des Droits de l'Homme, on commence à entendre la voix de ceux dont le faciès dérange, mais qui veulent, parce que c'est leur droit, réussir à l'école, travailler en paix, se loger décemment et ne plus subir régulièrement les contrôles policiers.

Après les municipales, Elisabeth Guigou présentera en deuxième lecture, à l'Assemblée nationale, la loi sur les discriminations à l'embauche que Martine Aubry, alors ministre de l'Emploi, avait fait adopter à l'automne. Une première, qu'applaudissent tous ceux qui sur le terrain luttent contre l'inégalité et l'injustice. « C'est un véritable tournant, affirme Mouloud Aounit, le secrétaire général du Mrap. Mais attention aux désillusions, si des réponses concrètes ne sont pas rapidement apportées. » En attendant, voici l'état des lieux d'une France à deux vitesses.

Au collège

Sylvie, 49 ans, est enseignante. Son mari, 50 ans, dirige une association. Leur fille, Annie, 12 ans, en cinquième, est une brillante élève : 16 de moyenne dans toutes les matières. Dans ce collège du quartier de Château-Rouge, dans le 18e arrondissement, loin du Montmartre chic, Annie est une exception. « Elle s'en sortira, affirme sa mère, elle veut être vétérinaire. Nous sommes là pour l'aider. Mais les autres gosses du collège sont condamnés. Ils bossent à six dans un deux-pièces. Ici, le soutien scolaire est insuffisant, la bibliothèque rudimentaire. » Dans cet établissement, trois élèves seulement sont « français de souche », comme Annie. Les autres, tous les autres, sont d'origine maghrébine ou africaine. « Pour éviter d'y mettre leurs enfants, explique Sylvie, beaucoup de parents du quartier tentent d'obtenir des dérogations, ou déménagent, ou choisissent le privé. »

En France, la discrimination raciale commence au collège. Selon deux experts de l'Insee et de la Direction de l'Evaluation et de la Prospective, Louis-André Vallet et Jean-Paul Caille, les élèves étrangers parviennent moins fréquemment que les Français en quatrième générale sans avoir redoublé la sixième. Après quatre années de scolarité dans le secondaire, ils sont également moins nombreux à se voir proposer une orientation en seconde générale ou en technologie. C'est la conséquence, pensera-t-on, de leur situation familiale, du fait qu'ils appartiennent à des milieux défavorisés ? Oui, selon ces deux chercheurs, puisque à situation familiale et sociale égale les élèves étrangers ou issus de l'immigration réussissent aussi bien, voire mieux, que les élèves français.

Parler de discrimination raciale dès le collège serait donc exagéré ? « Pas du tout », rétorque Jean-Paul Payet, sociologue à l'université de Lyon-II (1). Ce chercheur, qui ne conteste pas le sérieux de ses deux confrères mais leur méthode -, selon lui, ils mesurent des moyennes et gomment les disparités entre les établissements - est, lui, allé sur le terrain. Pendant un an, il a interrogé, écouté, consulté les élèves, leurs parents et les enseignants de deux établissements d'une banlieue populaire. Qu'a-t-il constaté ? Dans ces collèges, dès la sixième, les élèves français et ceux issus de l'immigration ne connaissent pas du tout le même sort. Des exemples ? A niveau égal, les jeunes filles françaises se retrouvent dans des classes de bon niveau. Les filles et plus encore les garçons d'origine maghrébine, eux, peuplent le plus souvent les « mauvaises classes ».

« Cette fabrication de filières a des effets désastreux sur l'identité des jeunes issus de l'immigration, explique Payet. Les enfants intègrent l'idée qu'ils sont mauvais. Ils étaient fiers d'être à l'école, ils finissent par la rejeter, car ils ont un réel sentiment d'injustice. » Comment en est-on arrivé là ? « Les parents français refusent que leurs enfants soient mélangés avec les enfants des quartiers. Et les enseignants veulent de bonnes classes. » Résultat : le chef d'établissement s'exécute. C'est ainsi, pour reprendre l'expression du chercheur, que « le marché scolaire se fait ».

Ce n'est pas tout. Dans les académies de Lyon et de Montpellier, des inspecteurs de l'Education nationale ont voulu mettre leur nez dans la pratique des stages en entreprise, obligatoires pour les élèves qui veulent obtenir un CAP ou un BEP. Et dans le rapport confidentiel qu'ils ont remis au ministre délégué à l'Enseignement professionnel, Jean-Luc Mélenchon, ils n'hésitent pas à parler de la « xénophobie » des patrons de PME ! C'est à l'élève de rechercher son stage. S'il est d'origine maghrébine, que s'entend-il répondre très souvent au téléphone ? « Nous voulons des bleu-blanc-rouge », « Notre clientèle ne vous supporterait pas », ou encore : « Nos employés réagiraient mal. » Résultat : les enseignants placent dans des entreprises qu'ils connaissent. Problème : ces stages-là ne correspondent pas, la plupart du temps, à la formation des enfants. D'où leur inutilité.

(1) Auteur de « Collèges de banlieue. Ethnographie d'un monde scolaire », Armand Colin,1997.

A l'embauche

Quand elle découvre dans un journal de l'Yonne une petite annonce proposant deux emplois d'hôtesse de vente, Aïcha, 25 ans, décroche aussitôt son téléphone. A l'autre bout du fil, une femme lui demande son nom de famille. Evidemment, sa consonance est maghrébine. « Ces emplois sont déjà pourvus », lui répond-on. Aïcha, étonnée, sollicite Nadine, une amie. Cinq minutes plus tard, celle-ci appelle et obtient sur-le-champ un entretien.

Moussa Slomani, lui, est las des petits boulots. Un jour, à la télévision, ce Français de 31 ans issu de l'immigration tombe sur une pub de la SNCF qui propose 2 500 emplois, d'agents d'entretien notamment. Chaudronnier, il adresse un CV complet à la direction de l'entreprise publique de Bretagne, où il réside. Il précise même qu'il est atteint d'un léger handicap, des problèmes de dos. Réponse négative. Moussa retourne à l'ANPE, et regarde un jeune homme qui, près de lui, remplit des papiers pour la même annonce. Le jeune homme se prénomme David. De retour chez lui, Moussa reprend son CV, change son prénom, s'appelle David, et renvoie le tout à la SNCF. Deux jours plus tard, il reçoit une demande de complément d'informations, suivie d'un courrier avec plusieurs propositions. Moussa n'a pas voulu continuer la supercherie. Il est au chômage. Brisé. « On se demande pourquoi les jeunes d'origine étrangère cassent ! C'est logique, ils ne peuvent pas travailler ! »

Impossible de mesurer la discrimination raciale à l'embauche. Bien sûr, il y a des offres d'emplois exemplaires, si l'on peut dire. Comme celles repérées en Alsace, dans le cadre d'un plan local d'insertion : « 15 caissières, 10 conseillers de vente, 15 employé(e)s. Magasin de jouets. Profils : jeunes, moins de 30 ans, bleu-blanc-rouge ». Ou encore : « Pour bac pro bureautique, polyvalent, pas typé. » « Les chefs d'entreprise qui ne veulent pas de jeunes d'origine étrangère sont souvent plus subtils, explique Me Didier Seban, avocat du Mrap. Quand les candidats se présentent et qu'ils les refusent, ils affirment qu'ils ne sont pas racistes mais que leurs clients ne supporteraient pas la présence d'immigrés. » Ce type d'excuse s'emploie parfois après l'embauche.

Comme ce pharmacien de Solesmes, dans le Nord, condamné à trois mois de prison avec sursis et à une amende de 30 000 francs. Il avait, par courrier, informé un jeune homme d'origine marocaine que « sa clientèle ne semblait pas apprécier ses origines étrangères », après une période d'essai de deux heures seulement. Le jeune homme s'était immédiatement adressé au Mrap.

Quelques chiffres pourtant. Début 1999, selon l'Insee - qui distingue les Français et les étrangers mais n'étudie pas le cas des Français issus de l'immigration - 23% des étrangers étaient au chômage, contre 11% des Français. Michèle Tribalat, chercheuse à l'Ined (Institut national d'Etudes démographiques), chiffre à 31% le taux de chômage chez les jeunes Français d'origine algérienne âgés de 20 à 29 ans, contre 15% pour l'ensemble des jeunes hommes de cette classe d'âge : et 34% des garçons d'origine algérienne qui ont le bac, voire plus, n'ont pas d'emploi, contre 9% des jeunes hommes sur la France entière ! Dans un livre pamphlet contre l'administration (1), sous le pseudonyme de Jean Faber, un haut fonctionnaire constate que dans une ville de Franche-Comté, dans une promotion de BTS, tous les « Blancs » ont trouvé un emploi en un an, mais pas un seul « immigré ».

Dans ce grand marché de la discrimination, les entreprises publiques jouent-elles le jeu de l'égalité républicaine ? Dans la plupart d'entre elles, les emplois sont interdits aux étrangers (voir encadré p. 16). Quand on interroge la SNCF sur le cas de Moussa - en parlant simplement de discrimination à l'embauche -, un porte-parole répond : « Nous rappelons régulièrement à nos directions régionales qu'elles doivent traiter de la même manière les Français de souche et les Français issus de l'immigration. » « Les entreprises publiques ont encore le réflexe de la préférence nationale, ou plutôt familiale », précise Luc Gruson, directeur de l'Adri (Agence pour le Développement des Relations interculturelles). Les parents aussi : Gruson cite l'exemple du responsable des tramways de Toulouse, qui voulait réserver des jobs d'été aux jeunes des quartiers pour pouvoir ensuite les embaucher. Levée de boucliers immédiate à l'intérieur de l'entreprise, sur le thème : « Ces jobs, ce sont nos enfants qui doivent les avoir ! »

Quant à l'ANPE, son rôle est plus complexe. Certes il n'est pas si loin le temps où Michel Bon, le directeur général de l'agence, évoquant le cas des caissières de Carrefour, dont il fut le PDG, osait déclarer publiquement : « Ce que cherchait l'employeur, c'était que le client puisse se sentir de plain-pied avec elles. (...) Malheureusement, il y a des gens avec lesquels on a du mal à se sentir de plain-pied. C'est quoi : les étrangers, et plus la couleur est foncée, plus on a du mal à se sentir de plain-pied. » A l'époque, c'était en 1995, le patron de l'ANPE, poursuivi par le Mrap, avait été relaxé. Aujourd'hui, la direction de l'ANPE a pris ce problème à bras-le-corps. « Les instructions de l'ANPE sont globalement claires », déclare Rubens Bardagi, secrétaire national CGT de l'agence. La direction a diffusé à toutes ses antennes une cassette vidéo qui explique aux agents quel comportement ils doivent adopter en cas d'annonce ambiguë : rappeler à l'employeur que son offre est illégale. Elle a demandé au Fastif (Fonds d'Action sociale pour les Travailleurs immigrés et leurs familles) de former une partie de ses emplois-jeunes aux problèmes de la discrimination. Ravie du résultat, elle envisage de donner la même formation à tous ses employés.

Seulement voilà. Olivier Noël, chercheur à l'Iscra (Institut social et coopératif de Recherche appliquée), travaille depuis dix ans sur les discriminations raciales à l'ANPE et dans les missions locales pour l'emploi, à Montbéliard, Nîmes, Perpignan notamment. Au départ, il souhaitait former les agents de ces administrations à la lutte contre la discrimination. A l'arrivée ? « Ils justifiaient tous leurs pratiques discriminatoires par les exigences de la clientèle, c'est-à-dire les entreprises qu'ils devaient conquérir. Après une lente et douloureuse prise de conscience sur le terrain, ils ont envie de changer. Ce n'est pas le cas des corps intermédiaires. » « Cette structure est écartelée entre deux logiques, explique Nourredine Boubaker, directeur de la Formation et de l'Emploi au Fastif : d'un côté les valeurs éthiques, de l'autre la nécessité de faire du chiffre, de garder les entreprises. Ils ont tendance, bien que déchirés, à privilégier l'efficacité, à aller au plus simple. » Ce que confirme Rubens Bardagi, notre cégétiste de l'ANPE : « Nous sommes pris dans une contradiction terrible : la direction nous demande d'avoir à la fois le plus de clients possible et des comportements impeccables. Et pour nous encourager à faire du chiffre, nous avons des primes d'intéressement collectif indexées sur des objectifs d'activité ! »

La loi de Martine Aubry contre les discriminations raciales à l'embauche, qui sera défendue en deuxième lecture à l'Assemblée nationale par Elisabeth Guigou après les municipales, permettra-t-elle d'en finir avec l'ensemble de ces pratiques ? Jusque-là, le plaignant devait apporter la preuve de la discrimination. Dorénavant, il suffira de présenter « des éléments de fait ». L'employeur, lui, devra prouver qu'il ne fait pas de discrimination, et cela avec des éléments objectifs. Enfin, les syndicats pourront se substituer à la victime et agir en justice. Commentaire de Philippe Bataille (2), chercheur au Cadis (Centre d'Analyse et d'Intervention sociologiques), qui a longtemps travaillé avec la CFDT sur la discrimination à l'intérieur de l'entreprise : « C'est un point de non-retour. A condition que les victimes aient accès à leurs droits. Sinon, il faudra créer une commission indépendante où tous les types de discriminations seront examinés. »

(1) « Les Indésirables, l'intégration à la française », Grasset, 2000.

(2) Auteur du « Racisme au travail », La Découverte, 1999.

Au travail

Tous ces tableaux, dira-t-on, sont délibérément pessimistes. Que faites-vous des Zidane ou des Jamel Debbouze ? Sans parler de ces jeunes beurs qui ont créé leur start-up ? Réponse de Nourredine Boubaker : « Bien sûr, il y a des beurs qui réussissent ! Mais c'est l'arbre qui cache la forêt. Il s'agit d'une infime minorité. Avancer ce type d'argument permet aujourd'hui de baisser la garde, alors que la lutte contre la discrimination raciale massive est plus que jamais nécessaire. D'autant que lorsqu'ils accèdent à l'emploi les jeunes subissent encore des discriminations. » Des preuves ? 50% de ceux qui ont un bac + 4 en poche occupent des postes destinés aux bac + 1. Selon l'Insee, au début 2000, le nombre d'ouvriers étrangers avait diminué, mais ils étaient encore 56% à travailler au bas de l'échelle. Certes, le tertiaire emploie aujourd'hui la majorité des salariés étrangers. Mais que font-ils la plupart du temps ? Femmes et hommes de ménage chez les particuliers et les entreprises, ou laveurs de vaisselle dans l'hôtellerie et la restauration.

Très souvent, d'ailleurs, les jeunes concernés tiennent compte dès le départ de cette discrimination. Un exemple ? A Montbéliard, Olivier Noël a constaté que les jeunes filles issues de l'immigration s'interdisent de postuler à des postes de caissières. Et préfèrent devenir employées... « Les employeurs n'hésitent pas à exiger d'eux plus d'efforts que de leurs autres salariés. Ils savent en outre que ces jeunes accepteront plus facilement d'être moins payés », précise Boubaker. Logique : ils battent tous les records de missions d'intérim ou de contrats à durée déterminée. Quand ils ont un job, ils tiennent à le garder.

Une fois embauché, il faut parfois subir le racisme à l'intérieur de l'entreprise. Comme cette jeune femme, employée dans un restaurant de la région parisienne, qui se fait régulièrement traiter de « sale bougnoule » par son patron. Lequel lui a ordonné de manger pendant la période du ramadan. Autre exemple ? Cette Camerounaise de 30 ans employée dans une grande parfumerie puis mutée dans une succursale et finalement licenciée parce que, selon son patron, « deux Noires dans un magasin, c'est néfaste ». SOS-Racisme, le Mrap, la Ligue des Droits de l'Homme, la Licra ne cessent de se battre contre ces discriminations. Les syndicats ? La CGT et la CFDT s'en sont emparées, au niveau national. Commentaire de Michel Caron, secrétaire national de la CFDT : « La bataille est gagnée au sein de notre organisation. Mais dans les entreprises, le combat est permanent. Les graffitis racistes dans les toilettes, ce n'est pas le patron qui les peint ! »

L'accès au logement

Ce jeudi 11 janvier, Hermann Ebongue, un étudiant en informatique, bénévole à SOS-Racisme, reçoit une plainte de Mohamed, étudiant lui aussi. Le matin même, Mohamed a téléphoné à la propriétaire d'un studio, qui vient de publier une annonce dans « De particulier à particulier ». Il appelle et s'entend répondre : « Vous êtes d'origine française ? » « Je suis français issu de la deuxième génération », répond-il. « La studette est déjà prise », répond la propriétaire. Mohamed renonce. Mais Hermann Ebongue, Camerounais d'origine, téléphone à son tour. Dès qu'il donne son nom, avec son léger accent africain, il obtient la même réponse. Hermann demande alors à son ami Christian Martin de passer un coup de fil. Après avoir assuré qu'il était français, d'origine française, né à Paris, la propriétaire lui propose de venir visiter la studette le lundi suivant.

Mohamed Ould, lui, n'en revient toujours pas. En 1998, ce pâtissier de 32 ans fait une demande de logement HLM dans la banlieue parisienne. Avec son épouse, Salina, une aide-ménagère de 23 ans, ils envisagent un jour d'avoir un enfant. Impossible, à trois, de continuer à vivre dans leur studio de 22 m2 situé dans un rez-de-chaussée humide. Il sait que les procédures sont longues, il s'y prend donc tôt. En octobre dernier, il reçoit une proposition de la préfecture : un 55 m2 dans le quartier mais dans un HLM neuf. Le jeune couple le visite, l'appartement leur plaît. « Nous le prenons », disent-ils à la préfecture. Mohamed donne son congé... avant de se voir refuser l'appartement par la société de HLM. Motif : « Taux d'effort insuffisant. » Traduisez : « Vous ne gagnez pas assez d'argent. » Mohamed ne comprend pas : « Pour mon studio, je paie un loyer de 2 350 francs par mois. Le nouvel appartement m'aurait coûté 2 514 francs, 164 francs de plus. Salina et moi, nous gagnons 10 000 francs net par mois. » Son employeur a témoigné de ses qualités devant la société HLM. En vain. Bon enfant, le propriétaire de Mohamed lui a annulé son congé. Mohamed et Salina vivent toujours dans leur studio. Ils attendent un enfant pour avril.

« Toutes les statistiques dont nous disposons prouvent qu'il y a ségrégation, accuse Patrick Simon, de l'Ined. Qu'il s'agisse des propriétaires privés ou du parc social. » Ce chercheur ne nie pas les problèmes posés par les familles issues de l'immigration : niveau des revenus, taille des familles, querelles de voisinage. « Mais la plupart du temps, les propriétaires anticipent les risques. Ceux liés, notamment, au paiement des loyers. Ils ont tort : les impayés sont plus fréquents chez les ménages français. Les travailleurs immigrés respectent les règles, ils ont peur de se mettre hors la loi. » Résultat, selon le chercheur : au début des années 90, 15% des immigrés occupent des logements insalubres (sans toilettes ni salle de bains dans le parc privé, immeubles très mal entretenus et parties communes dégradées pour les logements HLM). Avec, entre eux, d'importantes disparités : ce taux descend à 12% pour les travailleurs espagnols et portugais, grimpe à 20% pour les Algériens. En moyenne, 18% des logements sont surpeuplés en France. Mais ce chiffre passe à plus de 40% pour les appartements occupés par les Maghrébins, les Africains et les Turcs.

Des chiffres encore ? Selon l'Insee, les ménages immigrés sont concentrés dans le parc ancien : les trois quarts d'entre eux vivent dans des immeubles construits avant 1975. Et 28% des ménages d'origine étrangère qui désirent un HLM ont déposé leur demande depuis trois ans au moins, environ deux fois plus longtemps que pour l'ensemble de la population en attente !

Ces chiffres témoignent-ils de la volonté des offices et des maires, de droite ou de gauche, qui ont un pouvoir important dans les commissions d'attribution de logements, d'évincer les familles immigrées des centres-villes et de renforcer ainsi leur ghettoïsation ? Samuel Thomas, le vice-président de SOS-Racisme, en est convaincu. La preuve ? A Metz, SOS a fait constater par huissier que les 12 000 locataires de l'office HLM de la ville étaient fichés selon leur pays d'origine. Dans la ZUP de Borny, toujours à Metz, où les HLM sont très anciens et dégradés, 70% des habitants de l'office viennent de pays d'Europe orientale. Dans le centre-ville, où les immeubles sont beaucoup plus récents, ils ne sont que 2,5%. SOS a déposé une plainte. Elle a été classée sans suite. « L'office n'utilise plus ce fichier, répond, choquée, Dominique Dujols, directrice des Relations institutionnelles et de Partenariat à l'Union nationale des Fédérations d'Organismes d'HLM. Discriminer n'est pas dans notre culture ! Pour éviter que se constituent des fichiers, nous avons adressé une circulaire très ferme à tous les offices. On oublie de dire qu'en Ile-de-France, le parc privé, ce ne sont que des marchands de sommeil. Nous, on nous demande d'assurer, en plus, la mixité sociale ! »

Ah, la mixité ! Cette louable volonté des gouvernements de gauche de mélanger à nouveau les populations, mais qui, pour l'instant, est un échec. Ce que ne nie pas un haut fonctionnaire proche de ce dossier, avant de lâcher : « Nous n'y renoncerons pas. Si on lâche sur ça, on lâche sur tout. » Claude Bartolone, ministre délégué à la Ville, dont on connaît l'obstination dans la lutte contre la discrimination, a fait inscrire noir sur blanc cet objectif, avec obligation de résultat, dans tous les contrats de ville conclus avec l'Etat. Trop tard ?

Avec la police

Comme tous les jeudis, Sherifa, 44 ans, attend son train de banlieue avec sa fille Mona, 8 ans, qui consulte un médecin à Paris. Sherifa, handicapée, dispose d'une carte Améthyste. Le train arrive et Mona, partie chercher un journal, court, et monte sans composter son billet, de peur de louper son train. « Ce n'est pas grave, lui dit sa mère, nous irons voir le contrôleur. » Elles s'installent et, justement, la contrôleuse passe. Elle constate que le billet n'est pas composté mais n'inflige pas une amende. Non, ce qu'elle veut en guise de représailles, c'est confisquer la carte Améthyste de Sherifa. « Vous n'avez pas le droit de me la prendre, s'exclame la voyageuse. Mais je veux bien payer une amende. » La contrôleuse persiste. Sherifa aussi. « Puisque c'est comme ça, menace l'agent, je vais appeler la police. Elle vous cueillera à votre arrivée ! »

A la descente du train, les policiers sont là. Ils discutent un moment avec la contrôleuse, puis l'un d'entre eux demande à nouveau cette fichue carte. Sherifa, sûre de ses droits, refuse, répète qu'elle veut payer une amende. « Bon, lui lance un policier, on vous emmène au commissariat. » Mona suit, évidemment. Là, tétanisée par la peur, Sherifa voit l'un des policiers jeter son sac à terre, avant de la plaquer au sol et de la rouer de coups. Mona assiste à la scène, affolée. Sherifa, ensanglantée, demande à voir un médecin. « D'accord, on te laisse partir, dit un policier. A une condition : que tu ne parles à personne de ce qui s'est passé ici. » Sherifa a séjourné une journée à l'Hôtel-Dieu, écopé de deux jours d'arrêt de travail. Depuis, quand sa mère est absente, Mona se barricade en plaçant des chaises derrière les portes. La peur de voir revenir les policiers.

« Ce cas est représentatif de tout ce que nous ne voulons plus voir », explique-t-on au cabinet de Daniel Vaillant. Et de citer, entre autres, la mise en place en juin 2000 de la Commission nationale de Déontologie de la Sécurité, cette instance présidée par Pierre Truche, l'ancien président de la Cour de Cassation, indépendante du ministère de l'Intérieur. Cette commission peut être saisie par les parlementaires des « dérapages » de policiers ou de toute autre personne chargée d'assurer la sécurité. Quels sont ses pouvoirs ? L'investigation, l'audition, bref, l'enquête. Celle-ci achevée, la commission demande aux ministres concernés de sanctionner les fautifs.

Louable. Mais dans les mentalités, la discrimination raciale a la vie dure. A la demande du maire d'une grande ville française, la chercheuse Maria do ceu Cunha s'est penchée sur la mise en place dans cette ville d'une police de proximité. Elle est tombée très vite sur la question de la discrimination, en réunissant un groupe composé de policiers issus de la police nationale et de la police municipale, et de jeunes Maghrébins. Que disaient les jeunes issus de l'immigration ? Les contrôles systématiques « font monter la rage dans les quartiers. On contrôle leur couleur, c'est une humiliation volontaire ». Que répondaient sincèrement les gardiens de la paix ? « Nous ne comprenons pas, nous ne sommes pas racistes. C'est vrai qu'il y a des jeunes des quartiers qui posent problème. Et puis, on est là pour faire du chiffre. » Commentaire de la chercheuse : « Certains policiers vivent des situations horribles et ils font subir aux jeunes des situations atroces. »

Dans les boîtes de nuit

Quand elle se présente aux portes de cette discothèque parisienne, le 31 décembre, avec une dizaine d'amis, Hélène n'a pas de souci. Elle a réservé il y a longtemps pour être sûre de fêter l'arrivée du troisième millénaire avec ses copains. Las. Le videur leur refuse l'entrée et les rembourse. Sans aucune explication. Quelques minutes plus tard, quatre personnes se présentent sans réservation. On leur ouvre les portes sans problème. On les referme ensuite quand quatre jeunes gens de couleur se présentent à leur tour. Hélène comprend : parmi ses amis, six sont d'origine étrangère. Elle écrira au propriétaire de l'établissement pour protester contre cette discrimination. Elle n'a pas reçu de réponse.

Rachel a vécu la même expérience à Thionville. Un samedi soir, elle se présente avec quatre amis maghrébins à l'entrée d'une discothèque. Le videur explique aux quatre jeunes Maghrébins qu'ils ne sont pas des habitués, et il les refoule. Rachel écrira elle aussi au gérant de l'établissement. En vain.

Des histoires de discrimination raciale dans les boîtes de nuit, Malek Boutih, le président de SOS-Racisme, en raconte à la pelle. Depuis 1998, son association organise plusieurs nuits de « testing » par an. Accompagné d'un huissier, un groupe de jeunes, dont certains de couleur, se présente devant une boîte de nuit, dans plusieurs villes de France. Le plus souvent, les jeunes de couleur ne peuvent pénétrer. « C'est pour mettre le phare sur la face la plus visible de la discrimination raciale », explique Malek Boutih. SOS multiplie les plaintes, et commence à obtenir des condamnations.

Cet été, Jean-Pierre Chevènement, Marie-George Buffet et Michèle Demessine ont signé avec les représentants des métiers de l'hôtellerie une convention nationale contre la discrimination raciale à l'entrée des discothèques. SOS a boycotté cette initiative, parce que cette discrimination est déjà illégale. Depuis, l'association continue ses « testings ». En septembre dernier, la Cour de Cassation a validé cette pratique.

MARTINE GILSON
Nouvel Observateur - N°1892

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