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Arrêtés anti-burkini: ces communes qui s'entêtent en dépit du droit

Lundi, 10 Juillet, 2017
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La décision du Conseil d'Etat au sujet de ces arrêtés sera restée sans effet, plusieurs communes réitèrent cet été, malgré les risques de poursuites.
La décision du Conseil d'Etat au sujet de ces arrêtés sera restée sans effet, plusieurs communes réitèrent cet été, malgré les risques de poursuites.

L'interdiction du port du burkini sur les plages a été la polémique de l'été 2016. S'en étaient suivies des semaines de vives tensions en France à coup d'arrêtés municipaux. Certaines communes, comme Cannes ou Nice, avaient vu leurs arrêtés contre ce maillot de bain intégral suspendus par la justice. D'autres, telles qu'Oye-Plage ou Cagnano, avaient fini par reculer d'elles-mêmes. 

Le 26 août, le Conseil d'État avait finalement mis un coup d'arrêt à toutes les interdictions, jugeant qu'en l'absence de risques de trouble à l'ordre public provoqué par cette tenue, "le maire [de Villeneuve Loubet, où avait démarré la polémique] ne pouvait prendre une mesure interdisant l'accès à la plage et la baignade." Le juge administratif précisait également qu'un tel arrêté portait "une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales". Pourtant, en ce début de saison estivale, plusieurs maires ont ou s'apprêtent à récidiver. 

"Ils avaient déjà prévenu l'an dernier qu'ils republieraient des arrêtés," note Nathalie Wolff, juriste spécialisée en administration publique. "Cependant, l'arrêté à l'origine de la décision du Conseil d'Etat était mal rédigé et motivé. Les maires ne feront peut être pas la même erreur cet été."  

A Marseille, exit le mot "burkini"

Première ville à remettre les pieds dans le plat: Marseille. Pour éviter une nouvelle polémique, la municipalité a pris soin de ne pas nommer le fameux maillot de bain. Dans un arrêté municipal publié le 15 juin, la ville stipule que la tenue de bain portée sur la plage "ne devra pas entraver l'aisance dans l'eau et constituer un frein au sauvetage". Exit le mot "burkini" ou "tenue intégral". 

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"Ça permet à la police de dire aux gens qui vont dans l'eau avec des tenues inappropriées qu'ils doivent sortir, a expliqué à France BleuDidier Réault, l'adjoint délégué aux plages. C'est valable pour le burkini comme pour le bleu de travail. Si vous voulez mettre une tenue de ski sur la plage, c'est possible. Mais vous ne pouvez pas vous baigner avec". Alors, qu'est-ce qu'une tenue appropriée pour faire trempette? Selon Michel Tubiana, avocat et ancien président de la Ligue des Droits de l'Homme (LDH), "l'arrêté de Marseille est parfaitement inapplicable et inopérant contre le burkini, car on ne peut pas juger ce qu'est une 'tenue adaptée'." 

"Une situation atypique" à Sisco

Autre plage, autre polémique. Après Cannes et Villeneuve-Loubet, le maire PS de Sisco, Ange-Pierre Vivoni, prend, lui aussi, un arrêté pour interdire le burkini en août 2016. Malgré l'annulation par le Conseil d'Etat, l'édile s'accroche, estimant que la situation à Sisco est particulière. 

Contesté par la LDH, l'arrêté est finalement validé en appel par la cour administrative de Marseille le 3 juillet 2017. "Cette situation est complètement atypique, réagit Michel Tubiana. Mais ça ne remet pas en cause la décision du Conseil d'État, qui fait jurisprudence. Nous espérons que les maires se tiendront à sa décision. Dans le cas contraire, nous réengagerons des procédures."  

Coup de théâtre jeudi soir. L'arrêté ne sera finalement pas reconduit à Sisco. "Le conseil municipal a décidé à l'unanimité de ne pas reconduire l'arrêté dans un esprit d'apaisement et de réconciliation. Mais nous avons décidé de rester vigilants et réactifs. Nous avons peur d'une provocation, quelle qu'elle soit, les réactions seraient vives", a déclaré le maire, Ange-Pierre Vivoni. "Nous avons préparé un arrêté, s'il se passe quelque chose il sera pris immédiatement, je n'aurai qu'à le signer sans avoir besoin de réunir le conseil municipal. Nous ne voulons pas revivre ce qui s'est passé l'été dernier", a-t-il ajouté.  

Lorette tente d'interdire l'entrée aux femmes voilées

Condamné à verser 2000 euros à la commune de Sisco pour les frais engagés, la LDH reste en première ligne dans cette lutte pour la liberté vestimentaire. Elle s'intéresse tout particulièrement au cas de la ville de Lorette dont Gérard Tardy, le maire divers droite, a publié avec un nouvel arrêté rédigé début juin interdisant "monokini, burkini, voile dissimulant partiellement ou totalement le visage et combinaison". Sur l'affiche de la base de loisirs, des pictogrammes annoncent la couleur: le site est interdit aux chiens et aux femmes voilées. 

Gérard Tardy, qui n'a pas souhaité faire de commentaires auprès de L'Express, a retiré l'arrêté -qui n'avait pas été soumis au conseil municipal- en fin de semaine dernière. Pour autant, "il a été appliqué du 24 juin au 1er juillet," souligne Samuel Thomas, président de l'association Maisons des Potes, qui a déposé plainte contre la municipalité conjointement à la LDH et au CCIF. "Pendant ces sept jours, des mères de famille n'ont pas pu accompagner leurs enfants à la base de loisirs. Nous avons donc déposé une plainte pénale pour discrimination." 

L'initiative ne semble pas avoir effrayé le maire qui prévenait, le week-end dernier, n'avoir "pas l'intention de modifier le contenu" de son arrêté qui sera soumis "le 12 juillet" lors d'un conseil municipal extraordinaire. 

Dans la "to-do-list" du maire de Cogolin

Quid des villes qui avaient maintenu leurs arrêtés? Marc Etienne Lansade, maire de Cogolin, envisage aussi de publier un nouvel arrêté. Il ne sait pas encore quand, mais c'est "dans sa to do list". Cette fois-ci, l'élu frontiste assure qu'il remplira "les conditions légales pour ne pas prêter le flanc aux critiques". Il compte d'ailleurs mettre sur le coup ses juristes "pour trouver une formulation juridique adéquate au droit français et mettre fin à cette provocation identitaire". 

Sur la plage de Mandelieu-la-Napoule, les vacanciers ne devraient pas non plus voir de burkini. La commune a été la première à prendre un arrêté en 2012 après des "troubles à l'ordre public", reconduit cette année encore du 1er juillet au 31 août. L'entourage d'Henry Leroy, maire Les Républicains, explique que l'élu "ne varie pas et n'a pas peur de se faire attaquer en justice". 

"Pas à l'abri d'une évolution de la jurisprudence"

Pour Nathalie Wolff, il est clair que si les associations déposent des référés-libertés pour chacun de ces cas, "ils seront examinés, les tribunaux administratifs rendront leur décision, puis le Conseil d'État tranchera à nouveau, probablement pour les annuler". 

Pour autant, elle ne peut assurer qu'il n'y aura pas "de résistance chez les maires ou chez les juges". "C'est un débat politique. La France est à la croisée des chemins, entre un modèle anglo-saxon où l'expression religieuse est plus libre et un modèle français où on doit encore définir jusqu'où elle va. Nous ne sommes pas à l'abri d'une évolution de la jurisprudence, dans un sens comme dans l'autre." 

Sur les 15 communes contactées par L'Express qui avaient maintenu l'arrêté jusqu'à son échéance l'an dernier, six ne sont pas en mesure de dire si elles remettront le couvert cet été, trois n'ont pas souhaité se prononcer et quatre ont décidé de suivre la décision prise par le Conseil d'État. 

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