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L'entreprise prend des couleurs

Lundi, 26 Septembre, 2005
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Entre actions concrètes et bonnes intentions, des sociétés tentent d'endiguer la discrimination raciale, en suivant notamment la charte de la diversité.

L'entreprise prend des couleurs

 

 

 

Par Sonya FAURE et Stéphanie PLATAT
lundi 26 septembre 2005 (Liberation - 06:00)

Il y a un an, en octobre 2004, la charte de la diversité, impulsée par l'Institut Montaigne, un club patronal, était signée par une quarantaine d'entreprises. Elles s'engageaient à respecter l'équité entre leurs salariés, quelles que soient leur couleur ou leur origine. Un an plus tard, 175 entreprises ont paraphé le document, encouragées par l'hyperactif Azouz Begag, ministre délégué à la Promotion et à l'Egalité des chances, qui a repris à son compte la charte patronale : la semaine dernière, il a récolté 87 signatures à Marseille. La semaine prochaine, ce sera au tour de Lille. «La charte est une première étape. Si on peut faire en sorte que les entreprises comprennent leur intérêt à recruter dans la diversité, on aura gagné», explique Azouz Begag. En attendant, les rapports alarmistes s'accumulent : dernier en date, celui de Roger Fauroux, remis le 8 septembre à Jean-Louis Borloo, ministre de la Cohésion sociale. Il dépeint une situation accablante : «La discrimination vis-à-vis des Maghrébins ou des Noirs, pour les appeler par leur nom, qu'ils soient français ou non, est, dans le domaine de l'emploi, largement et impunément pratiquée.» La charte de la diversité n'a-t-elle été qu'un argument marketing ? Samuel Thomas, vice-président de SOS Racisme, la juge sévèrement : «Elle dresse une liste de bonnes intentions mais n'impose aucune action ni aucun contrôle. L'écrasante majorité des signataires n'a rien fait.» Pourtant, parmi les entreprises signataires, des actions émergent, plus ou moins abouties, parfois innovantes.

Non-discrimination à l'embauche et dans la promotion des salariés

Pour éviter le tri vertical des CV (les noms à consonances étrangères rejoignent directement la corbeille), des entreprises signataires ont opté pour le CV anonyme. Comme Adia, depuis huit mois. Deux directions régionales de l'agence d'intérim n'adressent déjà plus que des CV masqués à leurs clients en manque d'intérimaires. Le magasin Ikea de Franconville (Val-d'Oise) a, lui, renoncé aux CV : le groupe suédois a recruté par «simulation», une méthode conçue par l'ANPE qui consiste à choisir les candidats en fonction de leurs aptitudes : construire des objets avec des Lego, «jouer» son futur emploi...

Le groupe automobile PSA a été plus loin en fixant des quotas d'embauche : fidèles aux engagements de son «accord sur la diversité et la cohésion sociale», signé en septembre 2004, le groupe a embauché 39 cadres étrangers et 44 diplômés issus de zones urbaines sensibles, sur le premier semestre. «Rien d'étonnant, estime un responsable CGT de Sochaux. Peugeot a du mal à recruter, peu lui importe si les nouveaux sont blancs ou noirs. C'est après que ça se corse : les évolutions ne sont pas identiques et l'intérim touche surtout les jeunes issus de l'immigration.»

D'autres signatures font grincer les dents de Samuel Thomas, de SOS Racisme : «Le PDG de L'Oréal sait-il que nous sommes en procès contre lui ? En 2000, le groupe a demandé à Adecco (également signataire, ndlr) de recruter des intérimaires "BBR, taille 40 maxi" (1) pour représenter ses produits dans les supermarchés.» Le groupe Renault, dont l'ancien patron est aujourd'hui président de la Halde (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, lire ci-contre), est aussi poursuivi pour discrimination raciale par six ouvriers, qui réclament 1 million d'euros. Les plaintes au pénal ont amené des entreprises à signer la charte pour enrayer les dérives. D'autres y voient une manière de faire preuve de bonne volonté à bon compte, notamment en cas de poursuites.

Refléter la diversité

Promouvoir la diversité, c'est aussi mieux coller aux consommateurs. Précurseur en matière de com antidiscrimination, Adia couvre les murs du métro parisien de photos d'intérimaires issus de l'immigration, comme elle l'a fait avec les vieux ou les handicapés. Il faut dire que ces «minorités» sont des viviers de main-d'oeuvre que les agences d'intérim s'arrachent pour pourvoir des secteurs en pénurie. Mais cette audace peine à gagner tous les secteurs. «La banque et l'assurance sont symptomatiques de cette vision blanche de la France active, note Amirouche Laïdi, président du club Averroès, qui veille à la diversité dans les médias. J'ai rarement vu un Noir ou un Arabe derrière un comptoir de banque.» Et quand on parle de France Télévisions, Azouz Begag n'est pas content du tout. «C'est scandaleux, tonne le ministre. Se contenter de faire passer Audrey Pulvar de Soir 3 au 19/20, c'est ça la diversité ? France Télévisions n'a rien fait, ni en termes de contenu ni en termes d'affichage.»

Communiquer


La communication auprès des salariés est sans doute la partie de la charte la plus facile à mettre en oeuvre. Chez PSA, 50 000 plaquettes, décryptant les recours d'un salarié victime ou témoin de discrimination, ont été distribuées. Une adresse mail a été mise en place pour que les salariés puissent signaler des cas au monsieur Discrimination de PSA. «J'ai reçu une dizaine de mails et des appels téléphoniques, essentiellement pour en savoir plus sur l'accord. Pour l'instant, pas de cas de discrimination avérés», rapporte Xavier Chéreau. Plus chic, le groupe Pinault Printemps Redoute (PPR) a demandé à la réalisatrice Yasmina Benguigui un documentaire, diffusé en interne. Y témoigne par exemple une agent de maîtrise de la Fnac, à qui on demande si elle passera bientôt cadre : «Non, je crois que je suis arrivée au maximum de ce que la société peut accepter.» Responsable de la diversité chez PPR, Patrick Gagnaire explique : «Nous n'étions ni pires ni meilleurs que les autres, juste aussi conformistes. Si on a signé la charte, c'est parce que nous avons accepté de sortir ce qu'on avait glissé sous le tapis.»

Rendre des comptes dans le rapport annuel

Comment mesurer les progrès de l'entreprise, comment définir des actions ciblées quand la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) interdit le recensement des origines des salariés ? «Arrêtons la cécité, demande Azouz Begag. Quand on désigne les populations victimes de discriminations à l'emploi, on parle sans cesse des "jeunes issus de l'immigration". C'est un euphémisme pour désigner les Arabes et les Noirs. Quid des salariés des DOM-TOM qui ne sont pas issus de l'immigration, mais discriminés ? On n'échappera pas à la question de la couleur du citoyen français.»

Encadrés par le ministère et l'Institut national d'études démographiques (Ined), la SNCF, Eau de Paris, Axa et L'Oréal vont lancer une enquête expérimentale, pour recenser les origines de leurs salariés, sur anonymat et sur autodéclaration. «Nous voulons voir comment les salariés réagissent, pour pouvoir étendre ces méthodes», explique Azouz Begag. Casino a mené une étude patronymique, consultable sur le site du groupe de grande distribution. Qui montre que les personnes d'origine extra-européenne étaient peu nombreuses parmi les embauchés de 2000 et 2003 et davantage recrutées en intérim. Chez SOS Racisme, ces recensements effraient. «Tout notre travail consiste à dénoncer ces listings classant les salariés par origine, explique Samuel Thomas. Les responsables des ressources humaines sont animés de bonnes intentions, mais ils élaborent des outils qui pourraient permettre à un petit chef de faire de la discrimination. Ce qui existe même dans le groupe Casino : Monoprix a récemment refusé une Noire pour animer un stand de fromage.» L'affaire s'est finie par une transaction.

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Louis Schweitzer, président de la Haute Autorité contre les discriminations:
«Plus la sanction est exemplaire, mieux c'est»
Par Nathalie RAULIN


Louis Schweitzer, ancien PDG de Renault, vient de prendre les fonctions de président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), nouvellement créée sous l'impulsion de Jacques Chirac.

Les études actuelles confirment l'existence de discriminations, notamment raciales, en entreprise. Pensez-vous que la Charte de la diversité, lancée il y a un an par une dizaine de grandes entreprises, peut suffire à inverser la tendance ?

On est à un point d'inflexion dans l'attitude des acteurs sociaux envers la discrimination : l'indifférence fait peu à peu place à l'engagement. Ce changement de cap, encore fragile, suppose pour être tenu que trois éléments soient réunis : un effort de pédagogie générale, un engagement des entreprises et des syndicats et une volonté de faire respecter la loi. La Charte pour la diversité est une des nombreuses actions de sensibilisation et de communication à mener. Des entreprises, comme Renault, avaient anticipé le mouvement en mettant en place un code interne de bonne conduite, assorti d'un suivi au niveau du comité mondial du groupe. Que le ministre de la Promotion de l'égalité des chances, Azouz Begag, mouille la chemise pour inciter les entreprises à adopter cette initiative ne me choque pas, au contraire. Il faut y aller tous azimuts. Le président Chirac avait lui-même profité de l'installation de la Halde pour appeler les entreprises à négocier avec les partenaires sociaux un accord-cadre pour lutter contre la discrimination. Avec succès puisque Laurence Parisot a annoncé lors de l'université d'été du Medef qu'elle avait l'intention de donner suite. Dans la mesure où il ne s'agit pas d'une manoeuvre de l'Etat pour se défausser, ni des entreprises pour contourner le dialogue social, la Charte est utile. Elle ne peut néanmoins suffire à résoudre le problème.

Le rapport Fauroux sur les discriminations rendu public début septembre se dit favorable au recensement des minorités ethniques au sein des entreprises. Qu'en pensez-vous ?

Les études statistiques permettent déjà d'apprécier les discriminations portant sur le sexe, l'âge ou le lieu de naissance des parents. Les opérations de testing viennent compléter ces informations. Aller plus loin serait s'engager dans une voie dangereuse. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) s'oppose à ce que les salariés puissent être identifiés par leur origine ou leur appartenance ethnique : la sagesse est de s'en tenir à ses recommandations.

Quelles mesures concrètes préconisez-vous pour réduire les risques de discriminations «inconscientes» ?

Les recruteurs devraient éviter de recourir aux techniques de sélection induisant de la discrimination indirecte (celle qui résulte de l'organisation de l'entreprise, ndlr). C'est notamment vrai des tests de culture générale dont on sait qu'ils sont souvent de peu d'utilité dans l'exercice d'un métier. Je ne pense pas en revanche que les CV anonymes soient la panacée : Axa dit s'en être servi avec succès. Mais cette technique ne peut être utilisée valablement que par les grandes entreprises ou celles qui recrutent par l'Internet. Le CV anonyme reste une solution subsidiaire peu convaincante.

Pour modifier les pratiques des recruteurs, ne sera-t-il pas nécessaire de multiplier procédures judiciaires et sanctions ?

Sans aucun doute. La répression a une double vertu : elle permet de lutter contre la résignation des victimes et de dissuader les mauvais sujets. Les délits doivent être sanctionnés et, plus la sanction est exemplaire, mieux c'est. Il n'est d'ailleurs nullement nécessaire de modifier notre arsenal législatif. Il s'agit de l'utiliser afin de réduire le niveau de discrimination actuel. Le statu quo n'est pas tolérable.

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Certains métiers se sont ethnicisés de façon inconsciente. Exemple avec un groupe de BTP qui s'est penché sur ses méthodes de recrutement.
La discrimination par habitude
Par Sonya FAURE

Eiffage Construction, troisième groupe français du secteur, voulait comprendre ses difficultés de recrutement : pourquoi le bâtiment avait tant de mal à attirer les jeunes ? Après avoir confié une étude d'un an et demi au Credoc (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie), l'entreprise s'est retrouvée face à un panorama de ses discriminations «indirectes», celles qui ne viennent pas du racisme d'un petit chef mais de la force de l'habitude et de la progressive ethnicisation des tâches. «Annoncer des mesures de diversité n'est pas très difficile, note Isabelle Van de Walle, directrice adjointe du Credoc. Mais se livrer à un vrai diagnostic est plus rare. Il est difficile de convaincre les entreprises que les discriminations sont souvent liées à leur propre fonctionnement.»

Dans le rapport, on y lit la discrimination «de bonne foi» d'un chef de chantier qui explique avoir voulu «rééquilibrer» les recrutements en embauchant des Français : «Le métier de maçon n'a pas de raison d'être réservé aux immigrés. Il faut l'ouvrir. Je voulais élever l'image du bâtiment.» La résignation amusée d'un jeune maçon portugais : «Ma nationalité, c'est un passeport pour le bâtiment. Si j'avais mieux parlé français, j'aurais plutôt tenté la restauration mais, en France, vous montrez la carte "portugais", vous avez du boulot dans le bâtiment.»

Certains métiers se sont lentement fermés à la mixité : la construction pour les Portugais, le nettoyage pour les Maliens. Environ 18 % des ouvriers d'Eiffage sont portugais. Beaucoup ont accédé aux postes de chef de chantier. «Naturellement, ils avaient tendance à recruter dans leur communauté ou leur famille», explique Catherine Giner, une responsable d'Eiffage (2). L'étude relève le cas d'un jeune Maghrébin, «exclu» de l'entreprise parce qu'il ne maîtrisait «que» le français. A l'heure du déjeuner, les membres de son équipe ne parlaient que portugais entre eux. Il a quitté l'entreprise au bout de quelques mois. Alors que la cooptation communautaire des jeunes nouvellement immigrés facilite au départ leur intégration (on leur explique le travail et les consignes de sécurité dans leur langue), à la longue, cet enracinement familial freine leur apprentissage du français, et donc leur progression dans l'entreprise. Eiffage veut donc désormais diversifier son recrutement et réfléchit à imposer la langue française comme langue de chantier.

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A savoir

Le rapport Fauroux
Des CV anonymes, un label...

«La réalité [de la discrimination raciale] est très souvent ignorée ou carrément niée par beaucoup d'employeurs.» Pour y remédier, le rapport Fauroux préconise de développer les CV anonymes, d'«inscrire des messages de lutte contre les discriminations sur les petites annonces» et d'instaurer un label pour les entreprises méritantes. Il suggère aux pouvoirs publics d'«engager une campagne de communication dense» sur les discriminations et souhaite le recensement des minorités ethniques au sein des entreprises, interdit par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) pour l'instant.

Testing pour un poste de commercial
Sur les 500 premières réclamations reçues par la Halde (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité), la moitié concerne l'accès à l'emploi et plus du tiers a trait à l'origine des personnes. Pas étonnant : selon un testing réalisé par l'Observatoire des discriminations en avril, une candidate d'origine maghrébine disposant d'un meilleur CV reçoit, pour un poste de commercial, trois fois moins de convocations à un entretien que les candidats de référence et d'âge équivalents, mais blancs. Un Maghrébin, cinq fois moins.

Statistiques
Les données ethno-raciales interdites

De plus en plus de rapports dénoncent l'interdiction faite aux employeurs par la Cnil de recueillir des «données ethnoraciales» sur leurs employés dans leurs statistiques. Ce qui complique le suivi des discriminations. La Cnil autorise en revanche l'enregistrement des critères de «nationalité ou nationalité d'origine, lieu de naissance, nationalité ou lieu de naissance des parents». SOS Racisme met en garde contre «des mesures à l'américaine permettant d'identifier des minorités visibles alors que, dans notre pays, on travaille pour que chacun soit considéré comme égal, pas comme différent».

 

Sources:

http://www.liberation.fr/page.php?Article=326355
http://www.liberation.fr/page.php?Article=326359
http://www.liberation.fr/page.php?Article=326360
http://www.liberation.fr/page.php?Article=326358

 

Notes:

(1) «Bleu, blanc, rouge», c'est-à-dire français «de souche».
(2) Elle participe aux assises du Fasild (Fonds d'action contre la discrimination) aujourd'hui. Rens. : www.fasild.fr

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