Entreprises : Après l'éthique et le développement
durable...
La course à la «
diversité »
C'est l'heure du déjeuner : un travailleur d'origine marocaine vante des tapis, des objets d'artisanat de son pays, devant ses collègues ; un Béninois détaille des coutumes africaines. Folklorique ? Pas du tout. L'opération s'appelle « la Fierté d'appartenance ». Elle s'est déroulée chez General Electric, filiale d'un grand groupe américain. Cette entreprise dit s'être mise, comme beaucoup d'autres, à la promotion de la « diversité », le nouvel objectif à la mode dans les entreprises. Un concept à géométrie variable qui peut aller de l'intention louable d'élargir le recrutement à des personnes discriminées (seniors, femmes, handicapés, enfants d'immigrés...) jusqu'à l'idée de doser les embauches en fonction des différentes composantes de la société, comme aux Etats-Unis. Deux mille entreprises se sont déjà bousculées pour signer la fameuse « Charte de la diversité », lancée il y a dix-huit mois par les patrons Claude Bébéar et Yazid Sabeg (1). Avec ce texte - dont l'exposé des motifs se défend de vouloir imposer «des quotas rigides et discriminatoires» -, elles s'engagent à lutter «contre les discriminations» et «pour la diversité culturelle, ethnique et sociale au sein de leur organisation». Personne ne veut être en reste : ni le ministre de l'Egalité des chances, Azouz Begag, qui promet un label pour récompenser les bonnes pratiques en la matière, ni le Medef et les partenaires sociaux qui ont signé un accord - fort peu contraignant - sur ce thème.
Le problème, c'est que chacun met ce qu'il
veut derrière ce mot. Pour certains, c'est une révolution nécessaire dans une
société où l'on éjecte les quinquas du marché du travail et où les banlieues
flambent. Mais pour beaucoup, c'est comme l'éthique ou le développement
durable : un nouveau slogan de communication. D'ailleurs, dans certaines
entreprises, le responsable de la diversité se trouve être aussi celui de la
communication.
Un élément nouveau, cependant, va peut-être obliger les entreprises à prendre
la chose au sérieux : la peur du gendarme. Pour le moment, tout se passe
comme sur les routes avant le grand tournant de la sécurité routière. Assuré de
l'impunité, personne ne se soucie de respecter des lois antidiscrimination qui,
pourtant, existent. Les recours devant les tribunaux sont rares et
n'aboutissent qu'à une quarantaine de décisions de justice par an. Or tout
pourrait changer. Mieux informés, les candidats éconduits ou les salariés
victimes de discrimination commencent à se défendre, à alerter la presse. Ils
découvrent la Halde,
Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité
(www.halde.fr). Créée il y a un an et demi pour mettre la France en conformité avec
les directives européennes, dotée de pouvoirs de sanctions, elle a déjà reçu 5
000 réclamations, dont 43% concernent l'emploi. Elle a traité plus de 2 000
dossiers et déjà saisi quarante fois le parquet. Certes, les résultats sont
encore minces. Une goutte d'eau dans l'océan. Mais le mouvement est lancé.
Autre menace pour les entreprises : les « testings », désormais légalisés
en France, encore peu nombreux mais qui devraient se multiplier. Ces envois de
CV dont on change une variable (âge, adresse, nom à consonance étrangère, etc.)
permettent de vérifier quels CV ont été éliminés d'emblée. Ils sont organisés
par SOS-Racisme, l'universitaire Jean-François Amadieu (voir encadré) et
parfois demandés par la
Halde. Certains cabinets privés comme TBWA Corporate, agence
de conseil en communication, commencent à proposer leurs services aux grandes
entreprises désireuses de vérifier leur propre fonctionnement. Car aucun patron
ne souhaite se faire montrer du doigt à la suite d'un mauvais testing.
Se faire le chantre de la diversité ne suffira donc plus. Comme le dit Samuel
Thomas, vice-président de SOS-Racisme : «Certaines entreprises promeuvent
la diversité en croyant que cela les prémunira contre les poursuites, mais cela
ne garantit en rien qu'elles ne continueront pas à discriminer par derrière.»
C'est pourquoi beaucoup préfèrent parler d'égalité plutôt que de diversité. Pas
question de se donner bonne conscience en recrutant par-ci par-là trente jeunes
des quartiers ; il importe d'établir des « procédures », seules garanties
d'égalité de traitement des candidats. C'est ce que soulignait judicieusement,
dans un colloque récent, Alexandra Palt, directrice de la promotion de
l'égalité de la Halde.
Mais cela suppose des contraintes et des changements, et
c'est cela le plus difficile.
Certains le font pourtant : PSA-Peugeot-Citroën a intégré 4 600 personnes
avec la méthode dite « des habiletés », proposée par l'ANPE et qui consiste à
choisir les candidats sur tests et non sur CV. Preuve de l'objectivité de ce
système : le constructeur automobile a ainsi fait venir 32% de femmes chez
les ouvriers, population où elles ne sont d'habitude que 22%. De son côté, la SNCF envoie son Monsieur
Egalité, Karim Zeribi, sillonner les quartiers défavorisés pour susciter des
candidatures via les ANPE, les associations et les missions locales. Et cela un
mois avant que les chargés de recrutement ne viennent sur place proposer la
première étape de sélection aux postulants qui, ensuite,suivront le processus
habituel (tests, etc.). «Nous avons déjà rencontré ainsi3000personnes. 403 excellents
profils ont obtenu un CDI. 98% d'entre eux nous ont dit qu'ils n'auraient
jamais osé frapper à la porte de la
SNCF si nous n'étions pas venu le leur proposer», dit Zeribi.
Même démarche chez Alain Gavant Consultant
qui, avec Michael Page International, a organisé un regroupement de douze
cabinets (www.acompetenceegale.com) qui, via des associations, suscite des
candidatures de diplômés précédemment échaudés par d'inexplicables refus. Quant
à VediorBis, société d'intérim, elle a mis au point un système d'alerte pour
garantir à ses agents le soutien de leurs supérieurs quand ils sont confrontés
à une demande discriminatoire de la part de leurs clients (« BBR »,
bleu-blanc-rouge : sous entendu, « Français de souche », « pas de Maghrébin »,
etc.).
Tous ces pionniers devraient faire des émules. Chef de projet chez TBWA
Corporate, Mamadou Gaye, 31 ans, ancien secrétaire général de SOS-Racisme
risque une prédiction : «De plus en plus, les entreprises vont devoir
faire homologuer leurs processus de recrutement, exactement comme elles font
homologuer les produits qu'elles mettent sur le marché.»
(1) « La Diversité
dans l'entreprise. Comment la réaliser ? », par Yazid Sabeg et Christine
Charlotin, Institut Manpower, Editions d'Organisation.
Jacqueline de Linares
Le Nouvel Observateur
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