Cabinets de recrutement et
grands groupes adoptent des procédures de non-discrimination
Sous la pression, le
monde de l'entreprise évolue
Cécilia
Gabizon
[07
octobre 2003]
Le monde du travail évolue. La discrimination raciale y sévit toujours, masquée. Mais les récents procès, alliés aux directives européennes, ont poussé les agences d'intérim, les cabinets de recrutement et les entreprises à revoir leurs pratiques.
Auparavant, quelques formules entendues comme : «Il y a des critères subjectifs pour le poste» ou encore «c'est un métier de représentation, vous comprenez...» suffisaient pour que les cabinets de recrutement renoncent à présenter un candidat de couleur ou d'origine maghrébine.
«Pourquoi perdre du temps à présenter des CV qui seront de toute façon
refusés ?», ont expliqué des consultants de Michael Page, audités par
SOS-Racisme. Le cabinet de recrutement, épinglé en février dernier pour des
fiches d'embauche comportant des commentaires discriminants, s'est lancé
depuis dans une véritable révolution interne. «Les consignes formelles de
non-discrimination existent déjà chez nous. Mais elles sont insuffisantes.
Sans formation, ni volonté affichée de la direction, les dérives sont
toujours possibles», reconnaît Fabrice Lacombe, directeur général. Les fiches
d'appréciation des candidats ont été revues, éliminant les notes sur le
physique ou les origines. De plus, chaque consultant est maintenant
responsable devant la loi des fiches qu'il remplit.
Le cabinet a également élaboré un argumentaire pour déjouer les éventuelles
pressions des clients. Le consultant doit démasquer les demandes implicites
de discrimination et obliger l'employeur à préciser sa requête. La plupart du
temps, ce dernier renonce à exprimer un souhait raciste. Mais s'il insiste,
les consultants doivent tout simplement refuser.
La nouvelle déontologie de Michael Page reflète l'évolution plus générale du monde du recrutement. Adecco et Adia, deux agences d'intérim, ont récemment lancé des campagnes contre la discrimination, en partie financées par le programme européen Equal.
Au-delà des risques de contentieux, de plus en plus élevés, ce nouveau
positionnement des recruteurs répond aux mutations de l'entreprise. De grands
groupes tels qu'Axa, Schneider Electric, Suez, McDonald's, Pierre &
Vacances et récemment L'Oréal se sont engagés à recevoir les candidats
proposés par SOS-Racisme, dans le cadre de l'opération «Ça va être possible».
Pour Claude Bébéar, patron d'Axa, l'entreprise ne doit pas «se priver des
talents des jeunes issus de l'immigration». D'autres patrons jouent la
carte de la diversité des origines, en accord avec leur politique
commerciale. En un an, quelques dizaines de candidats ont ainsi été embauchés
grâce à cette opération. «C'est un début. La plupart des postulants n'avaient
jamais été convoqués à un entretien auparavant», se réjouit Samuel
Thomas, vice-président de SOS-Racisme.
Ce sont les diplômés qui sont les plus touchés par la discrimination raciale
à l'embauche. Aucun chiffre officiel ne peut l'attester car la loi française
interdit de mentionner l'origine des personnes. Mais en recoupant les données
concernant le taux de chômage des jeunes dans les quartiers sensibles, ou des
études de trajectoires professionnelles menées par des sociologues, le
paradoxe apparaît : «Plus on a de diplômes, plus le risque de se voir
refuser un emploi qualifié est élevé», explique Samuel Thomas. Le manque
de relations, voire de piston, est souvent déterminant. Le problème se pose
moins pour les emplois peu qualifiés.
Le Haut Comité à l'intégration (HCI) a abordé ces questions indirectement
dans son rapport sur la promotion sociale des jeunes issus de l'immigration. «Ces
discriminations sont réelles. Elles fragilisent la cohésion nationale et
heurtent nos engagements européens», regrette Khalid Hamdani du HCI. Le
rapport préconise de faire apparaître, dans le bilan social des entreprises,
leurs efforts pour lutter contre les discriminations.
En attendant que le monde économique généralise ces bonnes pratiques, la
justice s'est dotée de moyens nouveaux. La loi du 16 novembre 2001 a modifié
le Code du travail en aménageant la charge de la preuve. Dorénavant, la
victime doit apporter «des éléments de faits laissant supposer qu'elle a
été victime de discrimination». A charge pour l'entreprise de démentir
devant les prud'hommes ces accusations. Au pénal, le testing et les
statistiques ont été reconnus comme des moyens de preuve légitimes. Si, par
exemple, une entreprise ne compte aucun Maghrébin sur 6 000 employés, cette
incohérence pourrait se retourner contre elle.
Enfin, l'Union européenne met la pression sur les États membres : elle vient
de débloquer des crédits pour examiner les dispositifs de lutte contre la
discrimination et les améliorer.
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