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Au tribunal, «Minute» apprend à faire la grimace

Jeudi, 1 Janvier, 2015
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Trois mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende requis contre le journal d’extrême droite pour sa une comparant Christiane Taubira à un singe. "On voit bien que la défense a prévu de faire le procès de Christiane Taubira, et pas celui de Minute", dénonce l’avocat de la Ligue des droits de l’homme, Jacques Montacié. 


 

Son association, aux côtés du Mrap, de la Ligue citoyenne et de la Maison des potes, est partie civile dans ce procès contre Minute. Mais pas Christiane Taubira, fidèle à son habitude de ne pas engager de poursuites contre les attaques racistes qui la visent. L’hebdomadaire d’extrême droite doit répondre ce mercredi après-midi devant la 17e chambre du TGI de Paris «d’injure à caractère racial». Le 13 novembre 2013, il titrait en couverture «Maligne comme un singe, Taubira retrouve la banane». Fin octobre, un dessin de David Miège publié dans Minutereprésentait, lui, un singe en larmes et son avocat clamant : «Mon client porte plainte pour avoir été odieusement caricaturé en Madame Taubira !» Le journal rebondissait sur les propos, mi-octobre 2013, d’Anne-Sophie Leclère, ex-tête de liste FN aux municipales à Rethel (Ardennes), qui avait comparé la ministre de la Justice à un singe. Après signalement du Premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault, au procureur de Paris, le parquet avait ouvert une enquête et poursuivi le directeur de la publication de Minute, Jean-Marie Molitor.

Mais en ce début d’audience, on parle peu du dessin ou de la couverture de Minute. Les deux avocats de la défense se lancent dans un long dégagement : la victime étant également ministre de la Justice, donc supérieure hiérarchique du parquet et«ministre de tutelle de ce tribunal», plaident-ils, il ne peut y avoir «égalité des armes». «Tout cela n’est pas propice à une justice sereine», argumente Me Jérôme Triomphe, l’avocat du dessinateur David Miège, qui s’appuie sur cet adage : «Quand la politique entre dans le prétoire, la justice en sort.» Et d’asséner : «Nous demandons de ne pas traiter ces affaires tant que madame Taubira est ministre de la Justice.»«Grande tentative d’enfumage ! s’emporte l’avocat du Mrap, Gérard Taieb. Il s’agit d’un problème de lutte contre le racisme, pas des questions politiques.»

«Manie».Après suspension de l’audience, le tribunal refuse la demande de renvoi, et procède à l’examen des faits. Le directeur de Minute, Jean-Marie Molitor, étant absent, la juge rapporte ses propos aux enquêteurs : «Minute n’est pas un journal d’extrême droite, mais un journal libre et indépendant», a-t-il affirmé. Selon la défense, la couverture du titre venait dénoncer les «postures victimaires» de Christiane Taubira après les attaques racistes dont elle a fait l’objet. Quant au dessin,«absurde», «surréaliste», pour «dire que les animaux en ont marre d’être comparés à l’être humain» explique sans rire son auteur David Miège - «La couleur de madame Taubira, ça ne m’intéresse pas.» Il visait à «se moquer de la manie contemporaine de tout judiciariser», s’est justifié Molitor auprès des enquêteurs.«On est en plein dans l’expression raciste primaire, s’exclame Maître Taieb.L’humour de monsieur Miège tombe sous le coup de la loi. Il y a des limites, on ne peut pas tout dire, tout écrire, tout dessiner.» Pour les avocats de la partie civile, la garde des Sceaux, en étant comparée à un singe, est «déshumanisée». Quant à MeKarsenti, l’avocat de la Maison des potes, il critique cette «presse de caniveau» et rappelle que «le racisme ne s’est jamais aussi bien vendu, dans une France en crise».

«Contexte».Le tribunal doit déterminer la frontière entre la satire et l’injure, et le caractère racial de cette dernière. «Dessiner un singe, en soi, ce n’est pas une injure,persifle Me Triomphe, très en verve. Il n’y a pas l’ombre d’une injure, il y a caricature», affirme l’avocat du dessinateur, qui cite sans ciller l’œuvre de Daumier en référence. Il demande la relaxe de son client, et parle de «poursuites grotesques et ubuesques». Maître Frédéric Pichon, l’avocat de Minute, rappelle le «contexte hautement polémique», avec le vote de la loi Taubira sur le mariage pour tous. Il dénonce un «procès d’intention» : «Il a été admis que, depuis La Fontaine et bien avant, la représentation d’hommes politiques en animaux fait partie des codes de la caricature. Quand c’est Charlie Hebdo qui fait ça, c’est forcément pour la bonne cause : ce sont des gens de gauche, ils bénéficient donc d’une présomption positive, d’une espèce d’agrément du ministère public, ce sont les fous du roi. Quand c’est Minute, c’est mal, le mobile est forcément un mobile raciste.»

La procureure Aurore Chauvelot a requis trois mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende contre le directeur de la publication de Minute, Jean-Marie Molitor, pour la une comparant la ministre à un singe, et un mois avec sursis et 5 000 euros d’amende pour la publication du dessin de Miège. Contre ce dernier, elle a requis 2 000 euros d’amende, dont la moitié avec sursis. Des réquisitions jugées«faibles» par les associations antiracistes. Le tribunal a mis sa décision en délibéré au 30 octobre.

Isabelle HANNE

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