Saint-Claude
La lettre qui fait scandale
Le maire de Saint-Claude, Jean-Louis Millet, a du mal à gérer l’afflux de population turque de sa commune. Il s’en est ouvert par lettre le 1er octobre au ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy. Diffusé sur un site Internet, ce courrier est tombé entre les mains de SOS Racisme qui a porté plainte pour « injure publique à caractère raciste ».
le courrier à la lettre
Voici le
texte de la lettre adressée par le maire de Saint-Claude à Nicolas Sarkozy,
alors ministre de l’intérieur, et datée du 1er octobre 2003, tel que le
site internet www.paxeuropa.com l’a publié dès le 22 octobre 2003 sous le
titre 'Appel au secours d’un maire face à l’invasion musulmane' (les fautes
de d’orthographe dues à la retranscription ont été volontairement
conservées).
« Monsieur le Ministre,
Maire d'une commune où l'immigration officielle est donnée pour 18 % de la
population mais où, sur le terrain, les ressortissants d'origine étrangère
représentent entre 35 et 40 % de la population totale de la ville, dont les
¾ sont de confession musulmane, je suis amené aujourd'hui à lancer un cri
d'alarme face à l'afflux continuel et numériquement important de nouveaux
arrivants d'origine turque et musulmane.
Ma ville ne peut plus absorber davantage de populations étrangères sans
risquer d'une explosion sociale à court terme.
Le chômage s'accroît et notre économie n'est plus en mesure de proposer du
travail aux nouveaux venus. Par ailleurs, la non-volonté de s'intégrer
(mais au contraire, d'imposer leur culture) de la part d'arrivants qui
constitue une immigration de peuplement et non plus de main-d'œuvre, crée
des crispations très fortes de la part des populations de souche européenne
et de culture judéo-chrétienne.
Cet afflux incessant concerne essentiellement la communauté turque, dont
l'économie souterraine criminelle reposant sur le trafic de drogue stimulé
par la proximité de la Suisse, est en train de faire des ravages, à travers
l'acquisition régulière de tout ce qui peut se vendre dans la ville,
colonisant littéralement la cité.
Siégeant au Conseil Municipal depuis 1989, jamais je n'ai noté une telle
explosion d'immigration turque que celle constatée sur le terrain depuis 18
mois, n'en déplaise aux statisticiens.
Nous dansons sur un volcan et je redoute les conséquences d'une telle
situation.
Nous ne pouvons plus accepter ces arrivées non assimilables, nous ne pouvons
plus accepter le port du voile ou du foulard islamique, foulant aux pieds
les principes de la république et écrasant notre histoire judéo-chrétienne.
J'en, appelle à des mesures urgentes pour stopper une situation qui
m'inquiète et révolte mes concitoyens.
Je vous remercie , Monsieur le Ministre, de bien vouloir prendre la
situation de Saint-Claude en considération.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de la haute
considération.
J.L. Millet
PS : Je vous ai fait parvenir un courrier parallèle faisant état des
pratiques de la communauté turque. »
Dans le second courrier auquel fait référence le post-scriptum ci-dessus,
également repris sur le site et intitulé 'Pratiques de la communauté
turque', Jean-Louis Millet déplore que ladite communauté « achète
appartements, maisons, commerces, parcelles à lotir à une vitesse qui peut
faire penser à une véritable « colonisation » de notre cité ». En outre,
toujours selon ce courrier, « les acheteurs sont souvent des personnes sans
travail ou ayant de bas revenus ne permettant pas de tels achats. En ce
cas, d’où vient l’argent ? ». « Quant aux commerces achetés, ils servent
parfois de couverture pour un autre genre de commerce ». « Il nous est
difficile dans ces conditions d'accepter de voir se réaliser des transferts
de propriété qu'un salarié français ne pourra jamais s'offrir par son seul
travail ». Et le maire de s’interroger sur les achats « de véhicules de
grosse cylindrée avoisinant les 50.000 euros, propriété de personnes sans
activité professionnelle ». Il regrette en outre que « les jeunes filles
nées chez nous et le mieux intégrées à notre ville repartent toutes entre
18 et 20 ans chercher mari en Turquie, multipliant ainsi les regroupements
familiaux ».
SOS racisme accuse
a lettre
que le maire de Saint-Claude a écrite le 1er octobre au ministre de
l’intérieur a suscité la colère de SOS Racisme qui a déposé deux plaintes
pour injure publique à caractère raciste.
Quand il a posté sa lettre le 1er octobre 2003 à l’adresse du ministre de
l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, Jean-Louis Millet, le maire de
Saint-Claude, ne se doutait sans doute pas qu’elle allait rapidement être
diffusée sur un site Internet Paxeuropa dès le 22 octobre. Qu’elle allait
susciter un tollé chez une partie de ses administrés de toutes confessions
qui se sont constitués en collectif réunissant Attac, l’Association
culturelle franco-turque et Cactus. Que SOS racisme allait déposer une
plainte avec constitution de partie civile contre X « pour injure publique
à caractère raciste, incitation publique à la haine raciale et diffamation
publique à caractère raciste ». Dans son courrier dont il a fait une copie
au préfet du Jura, le magistrat s’en prend à la communauté turque et parle
même de « colonisation ».
SOS Racisme et le collectif considèrent que les propos de l’élu de
Saint-Claude sont diffamatoires. L’association anti-raciste a déposé une
première plainte le 31 mars par devant le tribunal de grande instance de
Lons, une seconde auprès du doyen des juges d’instruction le 16 avril.
Elles visent l’édile et les deux sites qui ont mis en ligne la missive. Le
maire de Saint-Claude a lui aussi déposé une plainte pour violation du
secret de correspondance. « Cette lettre n’est pas secrète, elle serait restée
dans les archives municipales ou elle était consultable », estime le
vice-président national de l’association anti-raciste, Samuel Thomas.
Lequel ne croit guère que le premier édile de Saint-Claude ait eu
l’intention de garder son courrier secret. Sinon, souligne le
vice-président de SOS, il aurait pu faire arrêter sa diffusion sur le
réseau par procédure de référé dès le lendemain de sa mise en ligne le 23
octobre . C’est « une stratégie de défense de la part du maire de
Saint-Claude », explique Samuel Thomas. « Cette lettre a été utilisée pour
galvaniser le racisme de certains », ajoute-t-il. En toile de fond, les
élections du 13 juin. Le premier édile de la sous-préfecture du Haut-Jura
envisage d’être en bonne place sur une liste aux élections européennes
conduite par le MPF (Mouvement pour la France) dont le thème de campagne
est le non à l’entrée de la Turquie dans la communauté européenne.
« Attiser la haine »
Dans un premier temps l’association culturelle franco-turque, dès qu’elle a
eu connaissance de ce courrier, a essayé de temporiser. Une rencontre est
organisée vendredi 26 mars, à la mosquée d’Etables, en présence du consul
de Turquie qui a spécialement fait le déplacement de Lyon pour la
circonstance. Jean-Louis Millet a notamment affirmé à l’assemblée que «
ceux qui, parmi eux, sont d’honnêtes gens n’ayant rien à se reprocher et
ont pu à tort se sentir visés, acceptent mes regrets de les avoir blessés
». Ce ne sont pas des excuses, rétorquent en substance SOS racisme et le
collectif qui réclament une sanction judiciaire et une peine
d’inéligibilité. Ils considèrent que la lettre au ministre du maire de
Saint-Claude n’est pas digne d’un élu de la République. Selon SOS Racisme,
le maire « dépositaire du pouvoir de police municipale et garant de l’ordre
public a choisi délibérément d’attiser la haine raciste et islamophobe de
ses concitoyens contre les personnes originaires de Turquie ou de
confession musulmane ». Samuel Thomas met particulièrement l’accent sur un
passage de la missive où il est écrit que « cet afflux concerne
essentiellement la communauté turque, dont l’économie souterraine
criminelle repose sur le trafic de drogue (...), est en train de faire des
ravages, à travers l’acquisition régulière de tout ce qui peut se vendre
dans la ville colonisant littéralement la cité ». Simple citoyen ordinaire,
comme il se définit lui-même, Pierre Gresset, membre du collectif, accuse
le maire de la cité pipière de prendre la posture de « victime ». « On lui
ferait un faux procès, martèle l’enseignant, alors que l’ensemble d’une
communauté est diffamée d’une manière grave ».
Christophe Marchal
Samuel
Thomas (à gauche) vice-président national de SOS racisme a déposé plainte
Il y a un problème
La
lettre que Jean-Louis Millet a envoyée à Nicolas Sarkozy a suscité émoi et
réaction dans la cité sanclaudienne. Ainsi pour Gérard, 45 ans et
Sanclaudien depuis toujours, les choses sont simples. « Il y a un problème,
c’est certain, mais il va loin quand même. Mais je pense qu’il y a sûrement
des problèmes avec d’autres ressortissants d’autres nationalités. D’accord,
tout le monde sait qu’il y a de la vente de drogue à Saint-Claude, ce n’est
pas un secret. La population visée dans sa lettre est une population jeune.
Je trouve qu’il est un peu sectaire car il n’y a pas que des Turcs qui sont
mêlés à cela. Il y a aussi des Français qui sont d’origine… Il faudrait
peut-être être plus sur le dos des gens qui sont au chômage et qui roulent
dans des voitures de luxe avant de mettre tout le monde dans le même sac.
Car il y a des gens très bien chez les Turcs et des Français qui ne sont
pas fréquentables. » Pour ce qui est de la plainte de SOS Racisme, « je ne
suis pas pour car cela ne fait qu’envenimer les choses au lieu de les
apaiser. »
Corinne a 20 ans et habite Saint-Claude depuis plusieurs années. Quand elle
a eu connaissance de la lettre de Jean-Louis Millet sa réaction ne s’est
pas faite attendre. « Ce n’est que la vérité ! Prenez tous les Arabes à
Saint-Claude, ils roulent tous effectivement dans des grosses voitures et
ce sont pour la plupart des jeunes de mon âge. Moi, il a fallu que je trime
pendant deux ans pour m’acheter une petite voiture d’occasion. Voir cela,
oui ça m’énerve. Il y a vraiment un problème ! On a beau se demander
comment ils font, ce n’est pas avec les alloc.’ et le chômage que l’on peut
se permettre ce type d’achat. Alors oui ce n’est pas un secret Saint-Claude
est une plaque tournante de la drogue. Après il faut peut-être
effectivement penser à faire quelque chose pour que ça cesse. Regardez,
même pour les logements, ils ont plus de facilité à en obtenir que nous. Ce
n’est vraiment pas normal ! »
Plainte contre plainte
Plainte
contre plainte
Avant même que le parquet ait instruit la plainte contre X de SOS Racisme
le 30 mars dernier, il semble d’ores et déjà qu’elle a peu de chance
d’aboutir, ceci pour deux raisons. D’une part, la plainte est déposée pour
« injure publique à caractère raciste ». Sans s’aventurer sur le terrain de
la qualification raciste ou non des propos écrits de Jean-Louis Millet, il
semble que le caractère public du courrier ne puisse être retenu. En effet,
la missive était destinée dès l’origine à demeurer une correspondance
privée, et le fait qu’elle soit adressée par un maire à un ministre n’a
aucune incidence. Elle aurait pu revêtir le caractère public si Jean-Louis
Millet lui-même avait été à l’origine de la transmission de son courrier aux
sites internet incriminés. En revanche, celui ou celle qui a provoqué, par
ses actes, la publicité du courrier pourrait se voir condamner, le cas
échéant, pour violation du secret de la correspondance. D’autre part, si le
caractère raciste des propos tenus par Jean-Louis Millet dans sa lettre est
avéré, le maire de Saint-Claude est couvert par le délai de prescription
qui, en matière d’injures racistes, est fixé à trois mois par la loi. Pour
être recevable, il aurait donc fallu que la plainte de SOS soit déposée au
plus tard début janvier. Cependant, Jean-Louis Millet n’est pas seul
concerné par la plainte de SOS Racisme puisqu’elle mentionne également deux
sites internet qui se sont faits les relais du courrier incriminé,
respectivement le 22 octobre pour le site paxeuropa.com et le 3 janvier
2004 pour le site france-echos.com. Si paxeuropa est couvert par la
prescription, il n’en est pas de même pour france-echos.com. Si la plainte
de SOS Racisme aboutit, ce ne pourra être qu’à l’égard des responsables de ce
site. Jean-Louis Millet, lui, n’a rien à craindre.
Devoir d'information ?
Le maire de Saint-Claude n’a pas souhaité répondre à nos questions, mais il a rédigé un communiqué en plusieurs points concernant « les attaques » dont il est l’objet. « Le courrier envoyé au ministère de l’Intérieur a scandaleusement et clandestinement été intercepté et divulgué par une personne manifestement désireuse de créer des troubles de l’ordre public alors qu’il aurait dû être en possession que du seul ministre, du seul préfet et du seul sous-préfet (...) Nous sommes dans une situation où l’hypocrisie est reine de la part de certains de mes détracteurs, il n’échappera à personne l’aspect très politique d’une affaire pilotée par certaines personnes à l’approche d’une période électorale (...) Le maire, chargé du bon ordre dans sa commune, a un devoir d’information vis-à-vis des autorités administratives. Il lui revient par la loi, à titre préventif, d’informer ces autorités et de dénoncer tout fait dont il a pu avoir connaissance ». En conclusion, ajoute-t-il, « un maire pour être tranquille doit se contenter de ne rien voir, ne rien entendre, laisser faire et surtout fermer sa gueule ».
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