Mardi
30 novembre, si le procès n’est pas reporté, onze videurs de
boites de nuit lyonnaises seront jugés pour “discrimination
raciale par refus de service”. Ils encourent 2 ans d’emprisonnement
et 30 000 euros d’amende. Jamais, en France, un procès en
discrimination raciale n’a concerné autant d’entreprises. “Il
y a eu des procès à 4 ou 5. Mais c’est le plus important”, confirme Samuel Thomas, vice-président de SOS-Racisme. “C’est un
procès exceptionnel”, renchérit-on dans l’entourage du
procureur. Ce procès est d’autant plus important que les procès
pour discrimination sont rarissimes, comparé à l’étendue du
phénomène. Depuis la publication, en mars 2000, du testing de Lyon
Capitale, SOS-Racisme n’en a comptabilisé qu’une
quinzaine.
Pourtant, la mobilisation semble générale. Outre les associations et les politiques, les chercheurs se sont intéressés à
la discrimination en France “depuis le début des années
quatre-vingt-dix”, selon le sociologue Alain Battegay, sous
l’impulsion des pouvoirs publics. Mais cela reste un aspect
secondaire des recherches. Résultat, on a encore d’importantes
incertitudes quant à l’ampleur, la réalité et les mécanismes de
la discrimination raciale. “Je ne connais pas d’équipe de
recherche qui ait mis la discrimination dans son ensemble au cœur de
leurs recherches. C’est abordé dans le cadre d’études sur
l’école, l’emploi, l’accès au logement, les médias, les
loisirs ou le patrimoine. Il y a aussi des contraintes techniques
spécifiques à la France. Dans les recensements, par exemple, les
origines nationales n’apparaissent pas. Cela se défend, mais on
est privé d’un outil de mesure”, explique Battegay. Lui-même,
qui travaille plus précisément sur l’espace urbain, ne fait pas
un constat optimiste : “Je ne suis pas sûr du tout que ça évolue
dans le sens de la réduction des discriminations.”
Pourtant,
l’arsenal législatif existe depuis plus de trente ans. La loi
Pleven de 1972 relative à la lutte contre le racisme est assez
ferme, mais elle ne semble pas avoir résorbé le problème. Plus
spécifiquement, la question de l’entrée dans les boîtes de nuit
devient un sujet récurrent dans les années quatre-vingt-dix.
Nouveau président, Jacques Chirac s’en scandalise dans un discours
en 1996. La gauche, revenue aux affaires, incite les victimes à
porter l’affaire devant la Justice. Ainsi, en mars 2000, alors que
Lyon Capitale fait son testing à Lyon, des “Assises de la
citoyenneté et de la lutte contre les discriminations” se tiennent
à Paris. Elles débouchent sur la création d’un numéro vert, le
114. Pendant deux ans, de grandes campagnes de sensibilisation
incitent les victimes à se signaler. Mais les plaintes ne débouchent
qu’exceptionnellement sur des procès. Résultat, “de dizaines de
milliers d’appels au 114 en 2001 ou 2002, on est tombé à quelques
centaines”, affirme Samuel Thomas.
C’est donc au niveau de la
Justice que le bât blesse. Justement, le procureur général de
Lyon, Xavier Richot, a décidé de frapper fort. Alors que la plainte
sur le testing de Lyon Capitale s’était un peu endormie au fil des
changements de juge, il l’a réveillée avant l’été, a accéléré
l’enquête, ordonné le renvoi des onze videurs devant le tribunal correctionnel et “décidé de les juger rapidement”. De source
judiciaire, on confirme que ce dossier est l’occasion d’afficher
une volonté de prendre au sérieux les problèmes de discrimination.
Il s’y prête d’autant mieux que, “contrairement à beaucoup de
plaintes, il y avait des éléments pour lancer l’instruction”.
Ce
procès ne réglera pas la question de la discrimination à l’entrée
des boîtes de nuit. Il peut pourtant jouer un rôle majeur, au moins
pédagogique, vis-à-vis des établissements de nuit et des jeunes
Maghrébins. “Les boites que nous faisons condamner changent
généralement d’attitude. Et surtout, on constate systématiquement
une augmentation des signalements au lendemain des procès que l’on
gagne”, affirme Samuel Thomas, qui en appelle à une mobilisation
citoyenne : “L’essentiel des procès gagnés l’est grâce aux
témoins. Il y a des antiracistes partout : dans toutes les boîtes
de nuit, les entreprises, les offices d’HLM… C’est leur
témoignage qui permet des condamnations. Et c’est par la crainte
de leur témoignage qu’on peut faire changer les choses.” Le
mardi 30 novembre, la Justice française a ainsi l’occasion
d’envoyer un signal fort.
Raphaël
Ruffier
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