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"Les enjeux d’un procès “exceptionnel”

Samedi, 2 Mai, 2015
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“Il y a eu des procès à 4 ou 5. Mais c’est le plus important”, confirme Samuel Thomas, vice-président de SOS-Racisme.

 

Alors que les études sociologiques sur l'imbrication entre l'urbanisme et les discriminations augmentent, les attitudes elles aussi tendent à évoluer.

Qu'en est-il des discriminations à l'entrée des boites de nuits à Lyon?



Mardi 30 novembre, si le procès n’est pas reporté, onze videurs de boites de nuit lyonnaises seront jugés pour “discrimination raciale par refus de service”. Ils encourent 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Jamais, en France, un procès en discrimination raciale n’a concerné autant d’entreprises. “Il y a eu des procès à 4 ou 5. Mais c’est le plus important”, confirme Samuel Thomas, vice-président de SOS-Racisme. “C’est un procès exceptionnel”, renchérit-on dans l’entourage du procureur. Ce procès est d’autant plus important que les procès pour discrimination sont rarissimes, comparé à l’étendue du phénomène. Depuis la publication, en mars 2000, du testing de Lyon Capitale, SOS-Racisme n’en a comptabilisé qu’une quinzaine.
Pourtant, la mobilisation semble générale. Outre les associations et les politiques, les chercheurs se sont intéressés à la discrimination en France “depuis le début des années quatre-vingt-dix”, selon le sociologue Alain Battegay, sous l’impulsion des pouvoirs publics. Mais cela reste un aspect secondaire des recherches. Résultat, on a encore d’importantes incertitudes quant à l’ampleur, la réalité et les mécanismes de la discrimination raciale. “Je ne connais pas d’équipe de recherche qui ait mis la discrimination dans son ensemble au cœur de leurs recherches. C’est abordé dans le cadre d’études sur l’école, l’emploi, l’accès au logement, les médias, les loisirs ou le patrimoine. Il y a aussi des contraintes techniques spécifiques à la France. Dans les recensements, par exemple, les origines nationales n’apparaissent pas. Cela se défend, mais on est privé d’un outil de mesure”, explique Battegay. Lui-même, qui travaille plus précisément sur l’espace urbain, ne fait pas un constat optimiste : “Je ne suis pas sûr du tout que ça évolue dans le sens de la réduction des discriminations.”
Pourtant, l’arsenal législatif existe depuis plus de trente ans. La loi Pleven de 1972 relative à la lutte contre le racisme est assez ferme, mais elle ne semble pas avoir résorbé le problème. Plus spécifiquement, la question de l’entrée dans les boîtes de nuit devient un sujet récurrent dans les années quatre-vingt-dix. Nouveau président, Jacques Chirac s’en scandalise dans un discours en 1996. La gauche, revenue aux affaires, incite les victimes à porter l’affaire devant la Justice. Ainsi, en mars 2000, alors que Lyon Capitale fait son testing à Lyon, des “Assises de la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations” se tiennent à Paris. Elles débouchent sur la création d’un numéro vert, le 114. Pendant deux ans, de grandes campagnes de sensibilisation incitent les victimes à se signaler. Mais les plaintes ne débouchent qu’exceptionnellement sur des procès. Résultat, “de dizaines de milliers d’appels au 114 en 2001 ou 2002, on est tombé à quelques centaines”, affirme Samuel Thomas.
C’est donc au niveau de la Justice que le bât blesse. Justement, le procureur général de Lyon, Xavier Richot, a décidé de frapper fort. Alors que la plainte sur le testing de Lyon Capitale s’était un peu endormie au fil des changements de juge, il l’a réveillée avant l’été, a accéléré l’enquête, ordonné le renvoi des onze videurs devant le tribunal correctionnel et “décidé de les juger rapidement”. De source judiciaire, on confirme que ce dossier est l’occasion d’afficher une volonté de prendre au sérieux les problèmes de discrimination. Il s’y prête d’autant mieux que, “contrairement à beaucoup de plaintes, il y avait des éléments pour lancer l’instruction”.
Ce procès ne réglera pas la question de la discrimination à l’entrée des boîtes de nuit. Il peut pourtant jouer un rôle majeur, au moins pédagogique, vis-à-vis des établissements de nuit et des jeunes Maghrébins. “Les boites que nous faisons condamner changent généralement d’attitude. Et surtout, on constate systématiquement une augmentation des signalements au lendemain des procès que l’on gagne”, affirme Samuel Thomas, qui en appelle à une mobilisation citoyenne : “L’essentiel des procès gagnés l’est grâce aux témoins. Il y a des antiracistes partout : dans toutes les boîtes de nuit, les entreprises, les offices d’HLM… C’est leur témoignage qui permet des condamnations. Et c’est par la crainte de leur témoignage qu’on peut faire changer les choses.” Le mardi 30 novembre, la Justice française a ainsi l’occasion d’envoyer un signal fort.

Raphaël Ruffier

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