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Plan contre le racisme : le gouvernement combat le « monstre » au lance-pierre

Lundi, 30 Janvier, 2023
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Élisabeth Borne a présenté lundi le nouveau plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine. Un plan sans chiffrage ni ambitions nouvelles, marqué par sa continuité avec le précédent. 


 

 

 

La première ministre parle depuis une dizaine de minutes. Mais qui l’écoute ? Sur les chaînes d’information, la réforme des retraites occupe l’essentiel du temps d’antenne. BFMTV et LCI, les deux principales chaînes d’information, ne sont mêmes pas présentes à l’Institut du monde arabe, à Paris. Sur le site internet du journal Le Parisien, qui a obtenu l’exclusivité des annonces la veille au soir, l’information n’apparaît pas sur la page d’accueil.

C’est dans cette indifférence générale que le gouvernement a présenté, lundi 30 janvier, son plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine. Initialement prévue le 10 décembre dernier, à l’occasion de la journée internationale des droits de l’homme, l’annonce des 80 mesures gouvernementales a été décalée de cinquante jours. Motif ? « Une actualité autre qui a fait que c’était plus judicieux de reporter », répond le gouvernement.

Le 10 décembre, l’équipe de France de football jouait son quart de finale de Coupe du monde.

Élisabeth Borne et plusieurs membres du gouvernement le 30 janvier, à l'Institut du monde arabe. © Photo Emmanuel Dunand / AFP

Et voilà l’annonce d’un plan attendu par les associations reléguée en pleine réforme des retraites, une heure après le début de l’examen du texte à l’Assemblée nationale et à la veille d’une mobilisation sociale importante. Le sujet n’est pourtant pas mineur. En 2021, le nombre d’infractions à caractère raciste, xénophobe ou antireligieux s’est élevé à 12 500 selon le ministère de l’intérieur. L’extrême droite a atteint des scores électoraux historiques, à l’élection présidentielle puis aux législatives. Et la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) parle d’un bilan « alarmant » en matière de discriminations.

Début décembre, la France s’est retrouvée épinglée par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) des Nations unies. Dans un rapport, l’organisme basé à Genève (Suisse) s’est dit « préoccupé par le fait que la discrimination raciale systémique, ainsi que la stigmatisation et l’utilisation de stéréotypes négatifs à l’égard de certaines minorités […] demeurent fortement ancrées dans la société française », relevant « la persistance et l’ampleur des discours à caractère raciste et discriminatoire ».

Dans son discours, Élisabeth Borne n’a d’ailleurs pas tenté d’enjoliver l’état de la société française. « Les discriminations et les stéréotypes continuent à briser des carrières et des destins, a déploré la première ministre. Il est intolérable que des personnes puissent encore être mises au ban, blessées et parfois tuées en raison de ce qu’elles sont. » Sa ministre déléguée chargée de la diversité et de l’égalité des chances, Isabelle Rome, a évoqué le racisme comme « ce monstre aux visages hybrides et nombreux » que « nous finirons par terrasser ».

Là réside le grand paradoxe de ce 30 janvier : les alertes des associations, la pression internationale, l’urgence d’agir et la vigueur des constats ont accouché d’un plan falot, dépourvu d’annonce saillante. Loin de la radicalité promise sur d’autres sujets, le gouvernement a cette fois-ci choisi la voie de la continuité. « Ce plan prend la suite de celui lancé par Édouard Philippe en 2018 », écrit à juste titre Élisabeth Borne dans le dossier de presse qui présente le plan. 

Dans le détail, le gouvernement prévoit de faire visiter à chaque élève de France, une fois dans sa scolarité, un lieu mémoriel lié au racisme, de former tous les agents de la fonction publique sur la question (et plus régulièrement les personnels de l’éducation nationale), d’améliorer le recueil et le traitement des plaintes par les forces de l’ordre ou encore d’émettre des mandats d’arrêt en cas d’infractions graves à caractère raciste. Des « avancées concrètes », a salué Isabelle Rome.

À noter que le gouvernement n’a à aucun moment évoqué l’islamophobie qui sévit dans notre pays. Une lacune récurrente dans le discours du pouvoir depuis plusieurs années.

Pas de chiffrage et des ambitions floues

L’aspect opérationnel des mesures annoncées relève pourtant, à cette heure, du vœu pieux. En témoigne un signal que les associations n’ont pas manqué de relever : le gouvernement n’a présenté aucun chiffre, aucun engagement budgétaire à l’appui de ses dispositions. « Chaque partie prenante ministérielle s’est engagée à déployer les moyens nécessaires pour permettre la mise en œuvre des mesures », évacue l’entourage d’Isabelle Rome. Une formulation vague qui occulte l’essentiel : puisque aucun budget n’est annoncé, l’engagement financier du gouvernement dans la lutte contre le racisme sera impossible à évaluer.

« On attendait des annonces budgétaires et elles n’ont pas eu lieu, regrette Samuel Thomas, président de la Fédération nationale des maisons des potes (FNMP). Le plan doit se déployer à fonds constants, tout est laissé à la volonté de chaque ministère. Et il n’y a rien pour les associations antiracistes, qui assument une grande partie de l’éducation sur la question et qui sont dans une situation financière catastrophique. »

Sur certains sujets, le plan gouvernemental risque en outre de se fracasser sur le mur de la faisabilité. Plusieurs des dispositions promises lundi relèvent du champ législatif et doivent être adoptées par le Parlement pour entrer en vigueur. Une subtilité loin d’être anodine, alors que le camp présidentiel n’a pas de majorité absolue à l’Assemblée nationale et que le moindre vote de cette mandature relève pour l’exécutif d’une épreuve de force. 

On a entendu un discours très clair de la première ministre mais on va être très vigilants sur la mise en œuvre, jusqu’au dernier kilomètre.

Magali Lafourcade, secrétaire générale de la CNCDH

Ainsi de l’aggravation des peines contre les personnes détentrices de l’autorité publique – les forces de l’ordre, notamment –, lorsqu’elles se rendent coupables d’infractions à caractère raciste ou antisémite dans l’exercice de leurs fonctions. L’émission potentielle de mandats d’arrêt, présentée par Éric Dupond-Moretti comme une manière d’empêcher que « les haineux en ligne se planquent dans la loi de 1881, qui a été faite pour les journalistes », risque de buter elle aussi sur l’incertitude de la législature parlementaire.

Le gouvernement a certes promis un suivi assidu du déploiement de son plan, « tous les six mois », mais l’exercice s’annonce peu périlleux : la majorité des mesures sont soit formulées de façon floue, soit dépourvues d’objectif chiffré, soit les deux. Ainsi de la volonté de « renforcer la collaboration entre les lieux de mémoire et les établissements », de « travailler sur la formation des professeurs », de « favoriser l’adaptation locale des dispositifs » ou de « mobiliser les bailleurs sociaux » contre les discriminations.

L’une des principales dispositions annoncées lundi a trait aux discriminations dans l’accès au monde du travail. Le gouvernement promet d’organiser des « testings réguliers dans différents secteurs d’activités, privés et publics » pour documenter les discriminations. Une solution devenue un tube des plans antidiscriminations, au moins depuis le quinquennat de François Hollande.

Emmanuel Macron en est lui-même un défenseur acharné. Avant son élection en 2017, il promettait de mener des « opérations de contrôles aléatoires et imprévues à grande échelle ». En 2018, Julien Denormandie, alors ministre de la ville, se targuait de lancer « la plus grande opération » de testings jamais réalisée. Cette fois encore, le gouvernement vante « une logique de politique globale et intégrée », plus ambitieuse que des plans précédents « qui ne faisaient pas l’objet d’une politique cohérente d’ensemble » selon Matignon.  

Le tout va prendre plusieurs années avant de donner des résultats. Alors que la réalité des discriminations à l’embauche est documentée, depuis des années, par des rapports de la Défenseure des droits, de la CNCDH et de multiples travaux scientifiques, l’exécutif va relancer un conseil scientifique pour mettre sur pied une nouvelle méthodologie. « On va avoir des années de conception avant d’avoir quelque chose d’assez solide et ensuite, peut-être, mettre en place des politiques publiques, regrette Magali Lafourcade, secrétaire générale de la CNCDH. Le testing est une très bonne chose mais il faut aller beaucoup plus vite. »

Plus vite… et plus fort ? La mesure interroge aussi par sa portée plus limitée qu’espéré. En mars 2022, Emmanuel Macron promettait, s’il était réélu, de mettre en place « une politique de testing systématique pour chaque entreprise de plus de 5 000 salariés ». L’aspect systématique a disparu. Mais la principale question a trait à la suite : qu’adviendra-t-il des entreprises prises en flagrant délit de discrimination ? Le gouvernement publiera-t-il leurs noms, selon la pratique du « name and shame » ? « Si ça doit déboucher là-dessus, nous assumerons de le faire », répond-on à Matignon.

Même conditionnalité pour la question des sanctions. L’entourage d’Élisabeth Borne ne s’engage pas à ce que les entreprises fautives soient poursuivies en justice et/ou sanctionnées par l’État. « La logique, c’est d’abord d’écouter leurs propositions pour y remédier, explique-t-on. Et si on constate que les discriminations perdurent effectivement, il y aura des sanctions qu’on assumera de manière graduée. » Samuel Thomas y voit la limite d’une mesure « en dessous des promesses d’Emmanuel Macron ».

Darmanin absent, les contrôles au faciès aussi

Un chiffre a pourtant plané comme une ombre sur les interventions du jour, à l’Institut du monde arabe. En 2021, aucune condamnation pénale n’a été prononcée pour discrimination et moins d’un millier pour infractions racistes. Alors même que les enquêtes de victimation donnent à voir, comme le rappelle régulièrement la CNCDH, que 1,2 million de personnes seraient victimes chaque année d’au moins une atteinte raciste, antisémite ou xénophobe. 

Un « gouffre », dénonce Magali Lafourcade de la CNCDH, qui en fait son « principal point de vigilance » pour la suite. « On a entendu un discours très clair de la première ministre, un niveau d’engagement qu’on n’avait pas vu jusque-là mais on va être très vigilants sur la mise en œuvre, jusqu’au dernier kilomètre », explique-t-elle. Samuel Thomas, des Maisons des potes, se fait plus sévère encore. « C’est sur ce différentiel abyssal qu’ils étaient les plus attendus et c’est là-dessus qu’on est le plus déçus de l’absence d’annonces », relève-t-il.

Une autre absence s’est fait remarquer lundi : celle du numéro 3 du gouvernement. Gérald Darmanin, le ministre de l’intérieur, était retenu à Marseille (Bouches-du-Rhône). Plus que sa personne, c’est son ministère qui a échappé aux fourches caudines de la lutte antiraciste. Parmi les 80 mesures présentées, pas une seule ne concerne les contrôles d’identité et leur caractère discriminatoire. 

Le président de la République lui-même reconnaissait pourtant, en décembre 2020, l’existence de contrôles au faciès. « Quand on a une couleur de peau qui n’est pas blanche, on est beaucoup plus contrôlé », affirmait-il sur Brut. Objet de discussions interministérielles intenses avec le cabinet de Gérald Darmanin, le sujet ne figure pas dans le plan. « Dans tous nos rapports, on recommande la mise en place du récépissé contre le contrôle au faciès, regrette Magali Lafourcade. On n’a pas suffisamment été entendus là-dessus. »

Ilyes Ramdani

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