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La bataille des statistiques ethniques Faut-il compter les Noirs, les Arabes, les Juifs... ?

Jeudi, 19 Octobre, 2006
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Samuel Thomas: "Avec le comptage au faciès, on installerait tout simplement une logique raciste»

Au nom de la lutte contre la discrimination - notamment dans les entreprises - des voix réclament le classement des Français en « Noirs », « Blancs », « Arabes ». Pourtant, de nombreux outils de mesure existent déjà. La polémique enfle

La bataille des statistiques ethniques

Faut-il compter les Noirs, les Arabes, les Juifs... ?

Au nom de la lutte contre la discrimination - notamment dans les entreprises - des voix réclament le classement des Français en « Noirs », « Blancs », « Arabes ». Pourtant, de nombreux outils de mesure existent déjà. La polémique enfle



Faut-il compter les Noirs, les Arabes, les Juifs... ?

Petite scène de genre au Sénat, en mars dernier. Le débat portait sur la loi « égalité des chances ». Un sénateur centriste propose tout à trac de faire apparaître dans le recensement l'«appartenance des individus (recensés) à un phénotype». Un phénotype ? En biologie, le mot désigne l'ensemble des caractères apparents d'un individu nés de son patrimoine génétique. L'intention ? Bonne, évidemment : lutter contre les discriminations subies par les « minorités visibles ». Mais pour cela, dit-il, il faut compter les Blancs, les Noirs, les Arabes, les Asiatiques, les métis... Impensable en France républicaine ! Le gouvernement a dit non, et le sénateur a retiré son amendement. Mais la polémique ne faisait que commencer. Un colloque organisé le 19 octobre par le Conseil d'Analyse stratégique (ex-Commissariat au Plan) relancera à coup sûr le débat.
En France, le comptage ethno-racial est interdit par la loi. Au nom de l'égalité, la République n'en veut pas. En pratique, ces beaux idéaux n'ont pas empêché que les enfants d'immigrés soient bien plus au chômage que les autres, même avec un diplôme identique. La différence est écrasante. Il y a un an, les émeutes des cités ont montré à quel point les jeunes ne la supportent plus. Magnifique en théorie, le modèle égalitaire tourne souvent à vide. Alors de plus en plus de voix s'élèvent à gauche et à droite pour briser le tabou : sans statistiques, comment assurer la promotion de la diversité dans les entreprises ?

 

 

Mais comment mesurer ? Les partisans du comptage ethnique répondent : en recensant les individus à partir de ce qui est cause de leur discrimination, la couleur de leur peau, leur apparence physique, comme aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne où l'on se déclare blanc, noir, arabe, asiatique, métis, etc. «Il ne s'agit pas de mesurer les ethnies mais la diversité de la société française. On en est arrivé à un point (de discrimination) où le comptage ethnique ne peut pas être pire que l'inaction actuelle», dit Patrick Lozès, président du Conseil représentatif des Associations noires (Cran). Ce mode de recensement rompt évidemment avec la prudence actuelle qui autorise tout au plus des statistiques fondées sur la nationalité ou le lieu de naissance des parents. Celles-ci sont de plus en plus utilisées en France et peuvent se révéler très éclairantes (voir encadré).


Avec le comptage au faciès, «on installerait tout simplement une logique raciste», s'indigne Samuel Thomas, vice-président de SOS-Racisme. Ce type de recensement ne pourra pas être utilisé «avec de bonnes intentions», ajoute-t-il. Et de rappeler que son association a déposé une plainte cet été. « Le Monde » avait évoqué un rapport des Renseignements généraux selon lequel 436 « meneurs des quartiers », à 87% de nationalité française, étaient classés par la police en fonction de leur origine supposée, détectée selon leur nom de famille (maghrébine, africaine, française d'origine non immigrée). «Enfermer les individus dans des catégories grossières c'est faire croire que la société est divisée comme cela. Et c'est obliger à la penser avec ces catégories», s'insurge le démographe de l'Institut national des Etudes démographiques (Ined) Alain Blum. C'est aussi inciter chacun à entrer dans une de ces cases, même si les personnes interrogées peuvent refuser de répondre.
La controverse enfle. Elle transcende le clivage droite-gauche, traverse les communautés, divise le monde de l'entreprise. Dominique de Villepin et Jacques Chirac sont contre, Nicolas Sarkozy, le ministre de l'Intérieur, est pour. Azouz Begag, ministre délégué à la Promotion de l'Egalité des Chances, y est favorable, contrairement à Bariza Khiary, sénatrice socialiste de Paris. Louis Schweitzer, le président de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité (Halde), a exprimé son opposition. Anne Le Strat, élue verte et présidente d'Eau de Paris, n'est pas hostile à un recensement anonyme des origines ethniques dans son entreprise. Côté patrons, Claude Bébéar, le président du conseil de surveillance d'Axa, a proposé le recensement ethnique - et anonyme - pour les entreprises dans un rapport de 2004, alors qu'Henri Lachmann, celui de Schneider Electric, a exprimé son opposition.


Jusqu'à présent la Commission nationale de l'Informatique et des Libertés (Cnil) est restée droite dans ses bottes républicaines, n'autorisant qu'au coup par coup le comptage par nationalité d'origine (et jamais par origine raciale). Mais son président Alex Türk reconnaît que beaucoup de membres de la Commission se posent des questions. Il annonce l'ouverture d'un grand chantier d'auditions pour que la Commission expose sa position avant les élections présidentielles. D'autant que la Cnil est saisie d'un nombre toujours plus grand de demandes : un observatoire de la vie étudiante veut mesurer la discrimination d'étudiants maghrébins, une télévision d'outre-mer veut savoir si l'audience des émissions varie en fonction de la couleur des téléspectateurs, etc.


La Cnil répond comme elle le peut. Elle a refusé récemment à la Sofres, mandatée par le Conseil représentatif des Institutions juives de France, un sondage d'opinion par téléphone auprès de personnes ayant un nom à consonance juive. Mais elle a autorisé une enquête de l'Ined intitulée «Intégration des secondes générations en Europe», sur l'intégration des Turcs et des Marocains, alors que le tri statistique sera opéré selon l'origine supposée des noms et prénoms. Contradiction ? La Cnil explique qu'il s'agit d'un projet européen «justifié par l'intérêt public» (1). La Commission refuse le comptage au faciès. Et surtout, elle rappelle que pour changer de critères, il faut une loi.


Qu'en pensent les intéressés ? Patrick Simon, favorable au comptage ethno-raciale, et Martin Clément, chercheurs à l'Ined, ont mené une étude sur les perceptions des salariés et des étudiants (2). Les résultats sont intéressants : la déclaration d'origine géographique ne suscite pas d'hostilité ; en revanche, la classification dans l'entreprise des catégories ethno-raciales est refusée par un tiers des enquêtés, toutes origines confondues. Mais la proportion change si l'on s'en tient aux sondés d'origine immigrée : la majorité des personnes se déclarant « arabes ou berbères » est contre. Les Noirs sont moins hostiles. Il est vrai qu'ils sont par excellence membres de ces fameuses « minorités visibles ». L'utilisation à des fins scientifiques est acceptée par 72% des enquêtés. «Le passage de la déclaration des origines à l'identification ethno-raciale constitue un saut délicat», notent les chercheurs. Un saut délicat, en effet. D'autant que des instruments de mesure existent déjà (voir encadré). Un seul problème : par manque de volonté politique, on ne les utilise pas...

(1) Voir les décisions sur www.cnil.fr
(2) « Comment décrire la diversité des origines en France ? » Population et Sociétés, n° 425
http://www.ined.fr/fr/ressources_documentation/publications/pop_soc/



Jacqueline de Linares 

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