L'agent immobilier accusé de discrimination
«LE PROPRIÉTAIRE ne veut pas louer aux gens de couleur. » Cette phrase qu'une employée d'une agence immobilière du XV e arrondissement lui aurait lâchée au téléphone en janvier 2001 résonne encore aux oreilles de Florentin Kouamé, quatre ans après les faits. A l'époque, ce chauffeur de taxi d'origine ivoirienne dont la famille allait s'agrandir avait poussé la porte de l'agence de location voisine de son domicile pour se renseigner sur un quatre-pièces affiché en vitrine.
« On m'a dit que la responsable des locations n'était pas là et on m'a conseillé de rappeler », se souvient-il. Le coup de fil du lendemain va tourner à la douche froide. Selon Florentin Kouamé, la responsable des locations refuse d'enregistrer sa candidature en expliquant très clairement pourquoi. Un collègue (le fils du gérant, alors en stage dans l'agence) enfonce le clou. « Nous, on n'est pas raciste. Mais le propriétaire loue à qui il veut », aurait-t-il déclaré avant d'inviter le chauffeur de taxi à tenter sa chance ailleurs. L'affaire aurait pu en rester là, faute de trace écrite ou de « testing » prouvant la discrimination. Elle a pourtant été jusqu'au tribunal de Paris où le dossier a été examiné hier par la 17 e chambre correctionnelle. « C'est une affaire exemplaire de l'attitude des intermédiaires du logement qui cèdent, pour des raisons de business, aux exigences des bailleurs », souligne d'emblée Samuel Thomas, vice-président de SOS Racisme, partie civile.
Obligé de se loger à Evry, dans l'Essonne Le militant de
l'association antiraciste se félicite que ce dossier, difficile mais
symbolique, ait débouché sur une enquête approfondie. Avec l'audition du gérant
de l'agence immobilière, de son fils, de son employée chargée des locations et
même de la propriétaire strasbourgeoise de l'appartement. Si cette dernière,
non convoquée au tribunal, a toujours nié avoir donné des consignes, les
responsables de l'agence ont quant à eux reconnu durant l'enquête l'existence
de demandes discriminatoires des bailleurs. « Lorsque je travaillais à
l'agence, si des personnes de couleur se présentaient pour louer un appartement
dont le propriétaire était dans ce cas, je leur disais que c'était impossible.
S'ils insistaient, je leur disais carrément la vérité », a ainsi déclaré le
fils du gérant lors de son audition. A la barre, l'homme de 35 ans nuance le
propos sur un ton plutôt détendu. « Je ne me souviens pas avoir parlé de cela
avec Monsieur Kouamé », insiste-t-il. Sa collègue de l'époque dément elle aussi
en bloc les accusations du chauffeur de taxi. « Je ne l'ai vu qu'une fois. Je
lui ai demandé ses revenus et c'est tout. Je suis formelle », martèle cette
petite femme de 60 ans visiblement abasourdie de se retrouver devant un
tribunal. Ses arguments n'ont pas convaincu le procureur qui a réclamé une
peine de quatre mois de prison avec sursis et 5 000 € d'amende pour les deux
prévenus. Le jugement sera rendu le 5 avril. Sur les bancs des parties civiles,
on se félicitait de ce réquisitoire contre la discrimination qui « empêche bon
nombre de personnes de se loger dans certains quartiers ». Ce n'est pas
Florentin Kouamé qui dira le contraire. Après avoir vainement tenté de rester
dans le XV e , il habite
aujourd'hui à Evry, dans l'Essonne.
Benoît Hasse
Le Parisien , mercredi 23 février 2005
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