Nouvel Observateur Hebdo N° 2084 - 14/10/2004
Un «apartheid français»
Des
appartements sans Arabes ni Noirs. C'est ce qu'aurait fabriqué délibérément
l'Ocil, société privée contrôlant près de 100 000 logements sociaux en région
parisienne, gestionnaire du 1% patronal. Dans son parc, certains logements,
classés en interne sous «critère 4» - ou «2 aggravé» - auraient été interdits
aux familles immigrées ou assimilées, y compris celles originaires des DOM-TOM.
Cette discrimination, révélée en 2002 par un impétrant locataire, et confirmée
par des témoignages internes à l'entreprise, a fait l'objet d'une plainte
déposée en avril dernier par sos-racisme. Plainte restée jusqu'ici lettre
morte. Une habitude.
Cette
affaire n'est pas le premier scandale soulevé par l'organisation antiraciste
dans le logement social. Et, comme les autres, elle risque fort de finir dans
l'oubli. Depuis cinq ans, en Lorraine, en région parisienne et en Rhône-Alpes, sos a pointé l'existence de fichiers
ethniques de locataires, de classifications d'appartements et de pratiques
discriminatoires en HLM. «Officiellement, on classe les gens pour parvenir à
une "harmonisation sociale", afin d'empêcher les ghettos, explique
Samuel thomas, vice-président de sos. Mais en réalité, l'utilisation de ces
fichiers renforce la concentration des Noirs et des Arabes. On filtre l'accès
des immigrés aux logements récents, dans les quartiers agréables. Et on les
maintient dans les logements les plus anciens. Le paradoxe est terrible. A
chaque fois que l'on rénove, on accroît la ghettoïsation.» Soutenu un
moment par Marie-Noëlle Lienemann, quand celle-ci était secrétaire d'Etat au
Logement sous Jospin, thomas a,
depuis, l'impression de déranger trop de monde: les HLM sont une puissance, une
coalition de grands élus, d'organismes patronaux, de syndicats et
d'associations de locataires. L'Ocil, visé par la dernière plainte de sos, est ainsi cogéré par des représentants
du Medef, de FO, de la CFDT
et de la CGT. «Tout
le monde est complice, constate thomas.
Pourtant, la discrimination en matière de logement est la plus destructrice:
c'est là que se fabrique un apartheid français.»
C. A.
Claude Askolovitch
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