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Mission d’information sur l’émergence et l’évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Vendredi, 11 Septembre, 2020
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Audition, ouverte à la presse, de M. Samuel Thomas, délégué général de la Fédération nationale des maisons des potes, président de la Maison des potes-maison de l’égalité, ancien vice-président de SOS Racisme.

La mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Samuel Thomas, délégué général de la Fédération nationale des maisons des potes, président de la Maison des potes-maison de l’égalité, ancien vice-président de SOS Racisme

 

La séance est ouverte à 16 heures 45.

M. le président M. Robin Reda. Nous recevons M. Samuel Thomas, délégué général de la fédération nationale des Maisons des potes, président de la Maison des potes-maison de l’égalité, ancien vice-président de SOS Racisme.

Cette mission d’information a été créée en décembre 2019, pour tenter d’apporter des réponses aux fractures identitaires et communautaires que connaît la société française. Si elle a dû être suspendue du fait de la crise sanitaire, elle est aujourd’hui encore plus d’actualité avec les événements récents et le mouvement Black Lives Matter.

Nous souhaitons que vous nous livriez votre regard sur la question du racisme en France, la manière dont vous l’appréhendez par l’intermédiaire de la fédération des Maisons des potes, les actions que vous menez et vos suggestions pour la combattre.

Mme Caroline Abadie rapporteure. Après les auditions de plusieurs universitaires, nous commençons à bien comprendre comment fonctionne le mécanisme du racisme, ce qu’il induit et comment nous pouvons lutter contre chaque forme de racisme. Certaines de ces formes sont ancrées dans des préjugés, d’autres sont des croyances, d’autres encore résultent d’un racisme inconscient qui produit des discriminations.

Mais nous souhaitons aussi nous intéresser aux solutions, c’est la raison pour laquelle nous entendons des associations telles que la vôtre, qui œuvrent sur le terrain pour mener des actions de proximité. Comment s’adaptent les associations à l’évolution du racisme ?

Vous menez par ailleurs des actions de testing. Nous souhaiterions connaître la façon dont vous les mettez en œuvre, les difficultés que vous rencontrez, les résultats et les espoirs qu’elles peuvent porter.

M. Samuel Thomas, délégué général de la fédération nationale des Maisons des potes, président de la Maison des potes-Maison de l’égalité, ancien vice-président de SOS Racisme. J’axerai mon intervention sur la lutte contre le racisme par l’action judiciaire, car c’est par ce biais que notre fédération d’éducation populaire a choisi d’agir. Je vous présenterai les difficultés que nous rencontrons pour faire sanctionner les différents délits à caractère raciste et nos suggestions pour améliorer la loi.

Voici tout d’abord un extrait du préambule de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, qui fait le lien entre l’action judiciaire et la lutte contre le racisme : « Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme. Considérant qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression… »

Aux États-Unis, le mouvement Black Lives Matter conduit à des situations de tension et de révolte, voire à des menaces de guerre civile, justement parce que la solution par l’exercice de la loi n’a pas été à même d’apaiser les conflits dans le pays et de sanctionner les actes racistes.

En France, même si le risque de guerre civile n’existe pas, nous nous trouvons dans une situation similaire : si la loi n’est pas appliquée, nous ne limitons pas l’expansion du racisme et des discriminations et ne protégeons pas les victimes qui n’ont alors plus de raison de croire en la justice républicaine.

Les Maisons des potes se sont employées, toutes ces années, dans les quartiers populaires, à convaincre les jeunes confrontés à des injustices à caractère raciste commises par des individus ou des institutions, d’utiliser la voie pacifique : de faire confiance à la justice, de porter plainte et de se doter des meilleurs avocats. Même si les manifestations peuvent avoir un impact, nous véhiculons l’idée selon laquelle les juges et les procureurs sont les relais des lois de la République.

Malheureusement, notre expérience des 30 dernières années est celle d’une justice qui agit en dents de scie : il n’y a pas d’évolution constante de l’implication des magistrats et des policiers dans la lutte contre les discriminations.

Les dix dernières années ont incontestablement été une période d’inefficacité de la justice contre les actes racistes, alors que le début des années 2000 a été une période d’efficacité, notamment du fait de l’injonction de l’Europe avec sa directive relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique, dite directive antiraciste du 29 juin 2000. C’est une époque durant laquelle nous avons cru être débarrassés de la menace de l’extrême droite en France, avec la scission du Front national (FN) qui a donné naissance au Mouvement national républicain (MNR), en 1999.

En deux ans, de 2000 à 2002, j’ai gagné cent procès pour discrimination à caractère raciste à l’entrée des discothèques. Les principales jurisprudences sur ce sujet ont été établies à cette époque.

J’ai divisé mon exposé en quatre parties : la parole raciste ; les violences et les dégradations à caractère raciste ; les discriminations à caractère raciste ; le fichage racial.

Je traiterai en premier lieu de la poursuite contre la parole raciste. La législation contre la parole raciste a été incorporée dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. La dernière grande avancée – avec la proposition de loi visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste ou antisémite et à renforcer l'efficacité de la procédure pénale, déposée par M. Pierre Lellouche le 1er août 2002, et la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi « Perben II » – a été d’allonger le délai de prescription de trois mois à un an.

Cependant, nous rencontrons de grandes difficultés à faire appliquer la loi, au motif que les textes qui circulent sur internet peuvent avoir été publiés plusieurs années auparavant et être frappés de prescription. Ils sont publiés sur des sites internet qui diffusent la haine et font du racisme leur fonds de commerce. Les surveiller demande beaucoup d’énergie et les parquets n’ont pas la volonté d’être à l’origine des poursuites contre eux.

Même s’il y a une multiplication des signalements auprès de la Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (PHAROS), ils ne débouchent pas sur des procès à l’initiative des parquets. Seules les associations, quand elles décident de poursuivre, peuvent mettre en cause ces sites. Mais quand elles épluchent les contenus incitant à la haine raciale, elles s’aperçoivent que les contenus les plus répréhensibles pénalement sont pour la plupart prescrits – mais continuent de circuler.

Je ne vous citerai pas les sites racistes que j’évoque, car je ne veux pas leur faire de publicité, mais ils sont nombreux. Il existe même des sites nazis, dont l’idéologie dépasse l’entendement. Or nous ne pouvons pas les faire sanctionner.

En effet, l’identité des auteurs est le plus souvent masquée – ils utilisent des pseudonymes –, les sites sont hébergés à l’étranger et les directeurs de publication sont des personnes fictives, de sorte que, même si un article n’est pas frappé de prescription, nous ne pouvons pas faire condamner son auteur.

Lorsque je me rends au commissariat de police pour porter plainte, je donne des pistes au policier-enquêteur pour une recherche d’identité, mais celui-ci m’explique que la loi ne lui permet pas d’investiguer, car seuls l’auteur et l’éditeur peuvent être poursuivis. Or l’auteur est inconnu, l’éditeur est à l’étranger et la loi ne permet pas de poursuivre les personnes qui alimentent le site. Ces personnes sont parfois connues, elles travaillent, en France, au service communication d’une mairie ou d’un parti politique et bénéficient d’une impunité totale.

Lorsqu’un site publie « Samuel le youpin va être déporté dans un camp de concentration », son auteur ne peut être condamné, et, si le parquet parvient à bloquer le site, l’hébergeur ira s’implanter à l’étranger et continuera de publier des contenus racistes.

Une modification de la législation est donc indispensable. Il suffirait de considérer qu’un site internet raciste est une organisation, puis d’obtenir un décret de dissolution de cette organisation ; puis d’appliquer les pouvoirs d’enquête prévus pour ceux qui sont en droit de démanteler la réorganisation d’une ligue dissoute. Ainsi, tout participant à l’alimentation de ce type de site pourrait être poursuivi.

Les auteurs de propos racistes contournent la loi sur la liberté de la presse en jouant sur les mots. Ils ne disent plus « les Arabes, les Noirs, les racailles ou les Africains… », mais les « émigrés ». Jean-Marie Le Pen a été relaxé en décembre dernier – il avait été attaqué pour avoir dit que « les faits divers sont le fait des émigrés » –, le juge ayant considéré que les émigrés ne constituaient pas un groupe ethnique.

Tous ceux qui souhaitent envoyer des messages racistes à leur électorat savent comment les crypter pour ne pas être condamnés. Jean-Marie Le Pen le sait, Marine Le Pen le sait, Valeurs actuelles le sait, Éric Zemmour le sait… Il convient donc, là aussi, de modifier la loi, afin que puissent être poursuivis les auteurs de propos incitant à la haine raciale.

Des jurisprudences vont dans ce sens. L’année dernière, la Maison des potes a fait condamner une élue du Front national d’Agen pour avoir repris la phrase de Jean-Marie Le Pen, ainsi que celle qu’il avait prononcée il y a plusieurs années : les chambres à gaz sont un détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.

Par ailleurs, une disposition légale empêche les associations d’agir contre toutes les formes de racisme, notamment le négationnisme et l’apologie des crimes contre l’humanité. L’article 2-5 du code de procédure pénale indique que pour être légitime à poursuivre en justice une personne qui a fait l’apologie de la Shoah, la défense des intérêts moraux et de l’honneur de la Résistance ou des déportés doit être inscrite dans son objet statutaire.

En outre, les sanctions ne sont pas dissuasives quand il s’agit de réprimer des personnes qui font commerce du racisme pour s’enrichir : ce ne sont pas les 45 000 euros d’amende maximum prévus par la loi qui dissuaderont un journal qui tire à 100 000 exemplaires. Nous souhaitons que cette amende soit portée, par exemple, à un million d’euros, la peine prévue pour une entreprise coupable d’avoir élaboré un fichage ethnique (article 226-19 du code pénal).

Depuis le récent revirement de la jurisprudence, pour être condamnée pour incitation à la haine et à la violence, une personne doit désormais « exhorter, de façon explicite, à la violence ». C’est le sens des arrêts de la Cour de cassation qui ont relaxé Robert Ménard et Valeurs actuelles en 2017, 2018 et 2019, arrêts fondés sur l’évolution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) qui favorise la liberté d’expression au détriment de la lutte antiraciste. Il est possible désormais de dire que l’on n’aime pas les juifs, les Arabes ou les Noirs, ces propos n’étant plus considérés comme une incitation explicite à la haine et à la violence.

J’ajoute que même quand elles sont encouragées par le parquet, les associations qui poursuivent des individus pour propos racistes sont assujetties au paiement d’un montant de consignation parfois prohibitif, qui les pousse à renoncer. Nous proposons que les associations soient agréées, par exemple par la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH), et exonérées des consignations dès lors qu’elles agissent dans l’intérêt de la Nation.

Enfin, nous souhaiterions que la durée de prescription soit portée à trois, voire six ans – comme la prescription des délits.

J’en viens en deuxième lieu aux violences et dégradations à caractère raciste.

Nous constatons, notamment en Alsace, une recrudescence de profanations de tombes juives sur lesquelles des croix gammées sont peintes, et des actes de dégradation contre des mosquées. Les auteurs étant très difficiles à identifier, il n’y a en général aucune poursuite.

Mais quand les individus sont identifiés et font l’objet de poursuites – ce qui donnera lieu à procès, dans quinze jours à la Cour d’appel de Colmar –, les associations rencontrent un certain nombre d’obstacles pour se porter parties civiles, notamment en raison de l’interprétation de la loi par les magistrats.

En 2004, a été créée la « circonstance aggravante » de la dégradation d’un bien à raison de l’origine de la personne. Or certains magistrats, notamment ceux du tribunal de Saverne, considèrent que si les poursuites pénales n’ont pas été engagées avec cette circonstance aggravante, les associations ne peuvent pas se porter parties civiles. C’est une interprétation erronée de la loi, qui dispose qu’il suffit d’établir que les faits ont été commis à raison de l’origine des personnes. Une clarification de la loi nous paraît nécessaire.

Par ailleurs, le travail d’identification des auteurs est défaillant. Sans doute parce que nous ne disposons pas d’une police scientifique spécialisée – comme pour la lutte antiterroriste – qui disposerait des moyens pour débusquer les auteurs de violences et de dégradations à caractère raciste, qui s’expriment au sein des réseaux sociaux de leur communauté d’extrême droite – Facebook, réseau russe, etc. Les policiers des services régionaux de police judiciaire (SRPJ) ne sont pas formés, ils n’ont aucune expérience pour trouver les auteurs qui s’expriment sur internet.

J’aborderai en troisième lieu la lutte contre les discriminations à caractère racial.

Les discriminations sont la forme de racisme la moins franche. Nous avons besoin des testings pour l’identifier : les auteurs n’accompagnant pas leur discrimination d’un propos à caractère raciste, son intention doit être déduite par le magistrat.

Les discriminations peuvent être le fait de dépositaires de l’autorité publique, d’organismes publics, d’organismes privés ou d’individus. Elles peuvent être commises non pas parce que l’auteur est adepte d’une idéologie raciste, mais parce qu’il pense que cette discrimination va dans le sens de son intérêt économique ou électoral, par exemple.

Je prendrai l’exemple de l’agence immobilière Alvimmo de l’Essonne, qui a été condamnée pour discrimination à caractère raciste dans la sélection des locataires. Il a fallu prouver qu’elle avait commis cette infraction, non pas par idéologie raciste, mais parce qu’elle pensait que les propriétaires ne souhaitaient pas avoir des locataires d’origine africaine, maghrébine ou asiatique. Les propriétaires ont, quant à eux, prétendu que c’était la copropriété qui ne souhaitait pas ce type de locataires.

La Maison des potes réalise de nombreux testings au logement. Les personnes à la peau noire sont le plus discriminées. Les agences immobilières ne les refusent pas frontalement, elles leur proposent, par exemple, un bien beaucoup trop cher pour leur budget.

Les testings consistent à faire postuler, à un quart d’heure ou une heure d’intervalle, deux candidats disposant des mêmes moyens financiers, de la même taille de famille et qui souhaitent habiter le même quartier. Au premier, dont le nom est à consonance étrangère, l’agent immobilier dira qu’il n’a que des appartements à 2 500 euros, alors qu’il proposera au second un appartement à 1 300 euros.

Les testings à l’embauche démontrent que la discrimination à caractère raciste est elle aussi commise selon certaines variables. Dans la restauration, par exemple, il n’y a pas de discrimination à l’embauche pour un commis de cuisine, métier en bas de l’échelle et qui s’exerce en arrière-cour. En revanche, le taux de discrimination est très élevé pour l’encadrement des cuisiniers et des serveurs ou pour les postes de serveur.

Ce phénomène est connu et analysé depuis très longtemps. Le motif de cette discrimination n’est pas le contact avec la clientèle, comme nous le pensions, mais une question d’autorité : qui respecte qui, car, nous dit-on, l’autorité d’un Africain ou d’un Maghrébin n’est pas respectée.

Au début des années quatre-vingt, le fichage ethno-racial des salariés de Renault avait été élaboré à partir d’écrits sociologiques concernant la hiérarchie des responsabilités dans les usines en fonction de l’origine des personnes. Il était écrit, par exemple, qu’un Maghrébin n’acceptera pas d’avoir comme supérieur hiérarchique une personne d’origine subsaharienne.

En général, les personnes commettant ce type de discrimination font porter la faute sur les autres : « ce n’est pas moi qui suis raciste, ce sont mes employés ».

Autre exemple : pour l’attribution d’une habitation à loyer modéré (HLM), l’office public d’aménagement et de construction (OPAC) de Saint-Étienne procédait à un fin dosage des personnes au nom à consonance étrangère. Il s’agit du « syndrome des boîtes aux lettres », diagnostiqué scientifiquement par cet OPAC – avec l’approbation de la caisse d’allocations familiales et de la préfecture : au-delà de x % de noms à consonance maghrébine ou africaine sur les boîtes aux lettres, le taux de vacance d’appartements serait, paraît-il, très élevé.

Tout était écrit dans un rapport de l’OPAC – mis à jour par la Mission interministérielle d’inspection du logement social (MILOS) – qui a permis sa condamnation. Les responsables ont été jugés coupables d’avoir établi un fichier ethnoracial de cinq mille personnes et pour avoir commis des discriminations raciales envers mille demandeurs, durant la période non prescrite. L’OPAC a été condamné à 10 000 euros d’amende avec sursis intégral. Cette peine dérisoire a été motivée par le fait qu’il avait agi dans l’intérêt d’un service public.

Les Américains se moquent des peines dérisoires auxquelles sont condamnées, en France, les personnes qui commettent des discriminations. Par exemple, j’ai fait condamner une société de communication américaine, Daytona, qui recrutait des hôtesses pour vendre différents produits dans les supermarchés. Un fichier avait été établi selon l’origine ethnique de toutes les hôtesses – 5 000 personnes – pour les affecter en fonction des produits et des demandes des clients. Cette société a été condamnée à 5 000 euros d’amende. Aux États-Unis, elle aurait été condamnée à deux cents millions d’euros…

La sanction contre les discriminations est un enjeu important pour les associations. Un changement d’état d’esprit des magistrats est indispensable pour que les sanctions soient dissuasives. Malheureusement, je l’ai évoqué plus haut, ces dernières années ont été marquées par un recul phénoménal de la lutte contre les discriminations.

Pour preuve, nous avons procédé l’année dernière à deux testings gouvernementaux qui, nous a-t-on dit, ne pouvaient donner lieu à des poursuites judiciaires. Les dossiers de sept sociétés n’ont été transmis ni au procureur de la République ni à l’inspecteur du travail et elles vont simplement devoir modifier leur campagne de communication. Mais le name and shame ne suffit pas !

Le comité d’entente du Défenseur des droits, où je siège, et le comité consultatif de la Haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE), où j’ai siégé, ont choisi de ne plus transmettre au procureur de la République les dossiers de discrimination, souhaitant les résoudre à l’amiable, en médiation ou en transaction.

Depuis une dizaine d’années, il n’y a ainsi plus de procès contre les discriminations – il y en avait trois par an en France au moment où M. Toubon a quitté ses fonctions. Cette absence de procès ne va pas dans le sens d’une nécessité de former les procureurs et les policiers à la lutte contre les discriminations.

Nous avons également besoin que les procureurs, sur la base de remontées d’information, déclenchent des investigations, des testings, des saisies de fichiers, etc. C’est ce que les Maisons des potes s’astreignent à faire.

Alors que les testings ont été consacrés par la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances (article 225-3 du code pénal), une note du parquet général a aussitôt limité leur portée en indiquant que les tests ne devaient pas être réalisés par un comédien. C’est malheureusement sur la base de cette note – qui n’est pas une loi – que le Gouvernement a décidé de ne pas transmettre au procureur de la République les résultats des testings réalisés à sa demande l’année dernière.

Pourtant, il me paraîtrait logique que les résultats de ces tests, demandés par le Gouvernement lui-même et qui ont coûté beaucoup d’argent, soient transmis au procureur et que celui-ci ordonne l’ouverture d’une enquête, notamment pour déterminer si le cas du comédien est confirmé par les vraies candidatures et pour que, si tel est le cas, la société soit poursuivie pour « subordination d’offres à un critère discriminatoire ».

Par ailleurs, il ne nous est pas possible de procéder à une citation directe contre une entreprise, si nous n’établissons pas que l’auteur de la discrimination agissait pour cette dernière.

Nous souhaitons également que les lanceurs d’alerte soient protégés. Cette protection est indispensable, car de nombreux salariés qui nous contactent sont ensuite licenciés, malgré la loi du 16 novembre 2001 – une personne a même été condamnée pour vol de documents. Bien entendu, nous faisons sanctionner ces licenciements a posteriori.

Il m’avait été demandé de former des magistrats à la lutte contre les discriminations, mais je devais me faire commercial pour trouver des magistrats souhaitant en bénéficier. Il me semble qu’il appartient à l’École nationale de la magistrature (ENM) d’organiser cette formation.

En outre, il n’existe pas de base de données regroupant les jurisprudences – les victoires et les défaites de la lutte contre les discriminations ou contre le racisme. Seuls le Défenseur des droits et la DILCRAH ont répertorié quelques décisions.

L’article 432-7 du code pénal, qui permet de poursuivre les dépositaires de l’autorité publique auteurs de discrimination, n’est pas rédigé correctement et n’a jamais été actualisé. Personne n’a vérifié s’il était applicable par les juges.

Si nous avons fait condamner des élus, en première instance, à trois ou cinq ans d’inéligibilité pour avoir commis des discriminations par préemption de biens, nous avons perdu devant la Cour de cassation, celle-ci ayant considéré que la préemption abusive à caractère raciste n’est pas une atteinte au droit de propriété, puisque le propriétaire dispose de voies de recours.

Le cinquième élément de mon propos est le fichage ethno-racial. L’idée de recourir aux statistiques ethniques au nom de la lutte contre les discriminations est une hérésie. Ceux qui réalisent de telles statistiques le font dans le but de conforter les préjugés, les stéréotypes, voire de les rendre scientifiques. Et le danger est ensuite qu’ils effectuent un fichage ethnique.

Rappelez-vous, le fichage des juifs a été réalisé, au départ, avec la participation volontaire de la population et même des représentants de la communauté juive, dont la protection était le motif avancé.

En 2009, j’ai remis à Patrick Karam, alors délégué interministériel à l’égalité des chances des Français d’outre-mer, un rapport intitulé « Fichage ethnique, un outil de discrimination ». Il mettait en évidence que la discrimination par dosage avait nécessairement besoin de la statistique ethnique.

Les personnes qui prétendent effectuer des statistiques ethniques pour évaluer les inégalités de progression de carrière à raison de l’origine s’en servent, en réalité, pour commettre des discriminations par dosage.

Sur cette question, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a été défaillante. Lorsqu’elle était présidée par Alex Türk, elle a accepté qu’Air France établisse un fichier ethnique des hôtesses de l’air. Le motif avancé par Air France était que, pour certains vols, des clients souhaitaient avoir des hôtesses de l’air de couleur noire – comme l’équipe de France de football –, ou de type asiatique – pour leur nouveau marché vers l’Asie. Le but économique a rendu légitime le fichage ethnique. C’est stupéfiant !

L’article 226-19 de la loi informatique et libertés dispose que le consentement éclairé des personnes fichées est nécessaire pour établir un fichier. Il convient de préciser de quelle nature doit être ce consentement.

Le président M. Robin Reda. Je vous remercie. Vous avez répondu aux principales questions que nous souhaitions vous poser, je vous propose donc de clôturer cette audition.

La séance est levée à 17 heures 45.

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