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Justice : vers la dépénalisation de la discrimination

Jeudi, 5 Juillet, 2012
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Samuel Thomas: "Tout acte de discrimination raciale doit faire l’objet d’une sanction pénale, sans se soucier de savoir s’il s’agit d’idéologie ou de volonté de satisfaire une clientèle."

Le premier ministre a décidé de dessaisir les tribunaux de certaines affaires et de les confier à la Haute Autorité de lutte contre les discriminations (Halde).

 


Article paru dans l'édition du 14 novembre 2005.

 

 


 

Avec un peu d’intelligence, on aurait pu estimer le contexte mal choisi. Même pas. C’est dans son discours du 8 novembre que Dominique de Villepin, affirmant « la priorité » à la lutte contre les discriminations, a proposé de dessaisir la justice de certaines affaires pour les confier à la Haute Autorité de lutte contre les discriminations (Halde). « En trois mois, elle a reçu près de 1 000 plaintes, dont plusieurs ont été adressées à la justice, a expliqué le premier ministre. J’ai décidé de renforcer ses pouvoirs : la Halde pourra désormais décider elle-même de sanctions contre les auteurs de discriminations. »

L’idée avait été revendiquée par son président, Louis Schweitzer, ancien PDG de Renault, devant son comité consultatif, après avoir remarqué la lenteur de la justice, voire ses difficultés à se saisir de ces affaires, puisque seulement quarante procès par an ont lieu pour discrimination. La Halde réglerait ainsi les problèmes de « petites discriminations », celles qui ne « sont pas clairement racistes ». Sans procès, comme la police règle par une amende le stationnement interdit. Et pourquoi pas, pour faire plus simple, sur formulaire, par Internet après négociations ?

Jamais les associations, qui se plaignent effectivement des lenteurs et des résistances de la police et de la justice, n’ont demandé une telle mesure. Mais on comprend bien que les membres de la Halde, nommés par décret, comptant parmi eux, entre autres, un ancien PDG et une ancienne ministre de Jean-Pierre Raffarin, puissent être sensibles aux sirènes de patrons qui acceptent mal de se retrouver dans un procès en correctionnelle, en séance publique, sous le regard de la presse. Si tout pouvait se passer avec une provision dans le budget de l’entreprise pour payer, en catimini, des amendes symboliques, tout irait mieux.

Premier à dénoncer cette décision, Samuel Thomas, vice-président de SOS-Racisme, rappelle que le Code pénal est net : tout acte de discrimination raciale doit faire l’objet d’une sanction pénale, sans se soucier de savoir s’il s’agit d’idéologie ou de volonté de satisfaire une clientèle. Il ajoute que, avant d’être capable de remplacer, avec ses cinquante salariés, le travail de la police, des inspecteurs du travail et des procureurs, la Halde a une tâche qu’elle ne remplit pas vraiment, celle d’aider les victimes à saisir ces instances. « Pour l’instant, dit-il, la Halde, avec 40 fois le budget dont SOS-Racisme dispose pour lutter contre les discriminations, n’a pas été capable de traiter et de transmettre à la justice un dixième des affaires traitées chaque mois par SOS-Racisme, qui vient enfin, grâce à « quelques » procès médiatisés, d’obtenir que la crainte de sanction pénale fasse bouger les grandes entreprises, les syndicats de discothèques et les fédérations d’agences immobilières. Nous avons obtenu que le 8 décembre ait lieu le procès d’un cabinet d’avocats d’affaires internationales, dont le numéro 3 est Monique Pelletier, ex-secrétaire d’État à la Justice (en 1978), ex-membre du Conseil constitutionnel et ex-avocate de Maurice Papon. C’est à ces actions que devrait s’attacher la Haute Autorité. » D’autant que la Halde n’a pas dépensé, en 2005, le budget qui lui était alloué, bien que deux fois inférieur à celui de son - homologue belge ou seize fois inférieur à son équivalent - britannique. Ils serviront - peut-être en 2006, permettant, de toute façon, au gouvernement de réduire ses dotations pour le prochain budget.

Pour Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des droits de l’homme, la proposition « est scandaleuse, absurde et se heurtera, sans doute, aux règles européennes. De toute façon, il va falloir en parler, parce qu’il faudra modifier le Code pénal, et cela ne se fait pas d’un revers de manche ». Mouloud Aounit, secrétaire du MRAP, est indigné : « Dans le contexte où nous sommes, ce n’est pas ce genre de mesures dont les victimes ont besoin. La discrimination est un délit qui relève de la justice. Ce n’est pas une vague infraction banale. Et ce n’est pas à une instance politique, composée de gens qui n’en ont pas les compétences à rendre la justice. » Jusqu’à présent, seul, le Front national refusait les condamnations pénales ou civiles des actes de discrimination.

Émilie Rive

 

 

 

Page imprimée sur http://www.humanite.fr
© Journal l'Humanité

 

 

 

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