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NOUS NE SOMMES PAS LOGÉS À LA MÊME ENSEIGNE

Dimanche, 21 Décembre, 2014
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"Rien n'a avancé", "II faut que l'Etat s'en mêle". Les témoignages d'associatifs et de personnes vont dans le même sens : les discriminations au logement sont récurrentes en France, dans le parc privé et public

Cela fait vingt ans que Samuel Thomas, délégué général de la Fédération nationale des maisons des potes n réseau d'associations de quartier) et ancien vice-president de SOS Racisme, travaille sur les questions de discriminations, notamment celles liées au logement. Il en ressort avec un constat amer : "Rien n'a avancé en la matière et ça ne risque pas d'évoluer." Un fatalisme pour celui que l'on surnomme "l'extrémiste de la justice" et qui a fait condamner deux organismes HLM et une quinzaine d'agences privées. Loin de baisser les bras, il reconnaît avoir affaire à un réseau digne d'une "mafia organisée qui implique les organismes locatifs, la justice, la police et plus largement les politiques". Une organisation qui ferait des dizaines de milliers de victimes, sans pouvoir déterminer les chiffres, comme le confirme Marina Belliard, du service contentieux de SOS Racisme : "Les actes discriminants ont clairement augmenté, mais il est impossible de quantifier.

 Déjà, il est rare que les victimes se fassent connaître, dissuadées par des procédures longues en moyenne dix ans et lorsqu'elles attentent un procès, il est difficile de faire reconnaître le préjudice." Découragé par les preuves à fournir Ce fut le cas de Nadia, 39 ans, qui se souvient avoir subi cette humiliation avec son mari : "On gagnait très bien notre vie et on visitait des appartements via le site De particuliers à particuliers. Des visites nombreuses et infructueuses jusqu'au jour où une propriétaire nous a clairement dit `je ne loue qu'aux Français'. Ce à quoi nous avons répondu que nous étions français !" Ecoeuré par de tels propos, le couple saisit la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), avant de se rétracter, découragé par les "preuves à fournir" pour prouver le préjudice. Le genre de dissuasion qui est une aberration totale pour Samuel Thomas : "J'accuse la justice de ne pas faire son travail en matière de discrimination! C'est au juge de diligenter une enquête et d'amener les preuves et non à la victime, c'est le monde à l'envers ! Il peut demander aux services de police de faire un testing, une infiltration dans les services, un contrôle des fichiers informatiques qui prouverait la tenue de fichage ethnique, ou le recueillement de témoignages..." Un sentiment d'injustice que ressent clairement Samir, un musicien de 27 ans, doublement touché par son statut d'intermittent du spectacle et ses origines marocaines : "Je suis en colère contre cette France qui m'a élevé. Jamais je n'aurais pensé qu'en 2016 ma gueule d'arabe pouvait poser un problème à quiconque." Le jeune artiste originaire de Lyon était venu tenter sa chance à Paris. Depuis décembre dernier, il a fait une centaine de visites. "On me dit que je ne présente pas les bonnes garanties ou que je ne corresponds pas au profil. Mais le profil de qui ? D'un Charles Henri aux yeux bleus ?! Je suis dégoûté !" En attendant Samir "crèche" à droite et à gauche, avec la tentation de se teindre en blond... Le réflexe d'enregistrer la conversation "Il est clair que le climat de tension actuel libère la parole raciste, les propriétaires n'hésitent plus à exprimer leur refus. Dans le secteur privé, les affaires sont plus `faciles', généralement le propos raciste est avéré à travers un document ou une parole. Dans le public, la ségrégation est plus sournoise, surtout lorsque l'argument invoqué est au nom de la mixité sociale", résume Marina Belliard. C'est exactement cette excuse qu'a trouvée une employée du bailleur social Logirep de Nanterre (Hauts-de Seine) pour débouter, en 2005, la demande de Frédéric Tieboyou, d'origine ivoirienne, arguant : "Dans [la] tour à Nanterre, il y a déjà beaucoup de personnes d'origine africaine et antillaise." Devant l'absurdité des propos, le plaignant avait eu le réflexe d'enregistrer la conversation, un élément à charge dans le procès qu'il remporta onze ans plus tard devant la cour d'appel de Versailles pour "fichage ethnique et discrimination raciale à l'accès au logement". 1 ENCADRÉS DE L'ARTICLE Une affaire qui a mis en exergue une réalité taboue mais courante dans les sphères opaques des commissions d'attribution au logement. A ce propos, l'étude "Inégalités d'accès au logement social: peut-on parler de discrimination ?", de l'Insee (avril 2014), révèle qu'il faut en moyenne vingt mois d'attente supplémentaires pour les ménages non-européens pour obtenir un logement social. Comment expliquer un tel écart racial ? Samuel Thomas y va de sa propre hypothèse : "Le racisme dans le logement se pratique par dosage. On veille à ce qu'il y ait une juste dose d'Arabes, de Noirs, d'Asiatiques et d'Européens dans le parc immobilier des villes. Sous couvert de mixité sociale pour assurer une cohésion, voire même une bonne entente entre les communautés, il y a des amalgames terribles. On considère qu'une personne étrangère serait un mauvais payeur, et qu'elle pourrait participer à la dévaluation d'un quartier. Ainsi on veut bien un certain quota d'immigrés, mais à juste dose. Pour autant, 90 % de personnes non-européennes se voient attribuer des logements dans les zones urbaines sensibles qui ne représentent que 30 % du patrimoine social. C'est ça la mixité sociale ?" Anne, une propriétaire de 36 ans, raisonne justement à l'inverse : "J'ai eu de gros soucis d'impayés avec une personne franco-française qui présentait bien sous tous rapports. Alors aujourd'hui je loue justement plus volontiers à des étrangers qui se trouvent dans des situations précaires et qui du coup reconnaissent la valeur d'un logement et l'importance de le payer !" 150 d'amende Comme souvent, le nerf de la guerre reste l'argent. Ce que confirme Samia, 38 ans, prof de biologie à l'époque lorsqu'elle cherchait un logement à Strasbourg. Une véritable tête de turc (au sens premier du terme), qui lui a valu des positions discriminantes. Elle a saisi la Halde et la propriétaire fut condamnée à 150 d'amende. En attendant, c'est par le piston qu'elle a trouvé son petit nid, quitte à devoir payer le double de loyer. "On fait marcher le système D, on contourne les obstacles en allongeant les sous. Certains, quand ils le peuvent, n'hésitent pas à acheter dans du neuf, là au moins ils sont plus tranquilles." Finalement lassée, Samia admet : "Ces quelques actions individuelles ne changeront rien. Il faut une réelle implication de l'Etat, qui tarde encore à venir..." ■

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